dimanche 25 novembre 2012

Testament n°7

Michel Valprémy



17 juin, jour de mes 47 ans

J'avais l'intention, avant ma mort, de ne régler aucun des problèmes de succession. Ma fortune est imposante, mes biens considérables, mes œuvres d'art rares. Vous savez tout cela, mieux que moi peut-être, vos calculs sont faits. Je souhaitais vous abandonner aux empoignades de l'héritage... et la souffrance ne m'accordait que peu de répit... mais, ce matin, alors que je reposais, les yeux clos (me crut-il à nouveau dans le coma ?), savourant encore les ultimes battements de la vie en cette période de rémission que m'accorde la maladie, j'entendis Georges, mon cousin préféré, murmurer à sa jeune femme : « Vraiment ce n'est plus possible, ça pue ici ! c'est intenable ! J'espère que c'est la dernière fois que je viens dans cette chambre 213. Il nous empoisonnera jusqu'au bout ! »
Ne vous récriez pas ! ne l'accablez pas ! que n'ai-je enduré dans ce que vous appeliez mes « pertes de conscience » ! Je n'ai plus tellement de forces et, par à-coups rapproches, la douleur me brûle. J'attends les piqûres (les dernières ?) qui me calmeront sans doute.
Je lègue donc :
A Marguerite, ma nièce, en qui j'avais mis l'espoir (et quelque argent, bien sûr, comme à chacun de vous) non qu'elle me serve de bâton de vieillesse mais qu'au hasard de ses visites elle m'entoure d'un secours tendre — on me répéta qu'elle ne cessait de me reprocher et mon célibat et mon refus de la paternité —, à ma nièce stérile (ce salaud de docteur me le confia comme une tare familiale supplémentaire) mon manoir du Périgord le jour de la naissance de son premier enfant.
A mon cousin Georges qui déteste tant les mauvaises odeurs et qui, le jour du repas des noces d'argent de mes bons parents, me traita de « sale pédale ! » au dessert, ma collection de tableaux (y compris le Cézanne qu'il admirait tant) quand il avouera à toute la famille réunie que je le rencontrai à plusieurs reprises rôdant, la nuit, près des vespasiennes du jardin public. Nous eûmes un jeune amant commun. Il existe des lettres compromettantes.
Le mal se ramifie, mes doigts tremblent et je ne partirai pas, vertueux, dans le pardon.
A ma belle-sœur Irène qui ironisa tous les dimanches à l'heure de la messe parce qu'elle me surprit une fois priant (et pleurant) sur un banc de l'église Saint-Paul, la totalité de mes meubles quand elle aura parcouru dans la plus grande ferveur, à genoux, le jour de Pâques le chemin de croix de Lourdes, trois années consécutives. Amen !
Aux jumeaux de mon frère Nestor (Dieu ait son âme, très chère Irène) tout ce qui restera dans mes coffres après les trafics de l'Etat, en souvenir de leurs disputes — tant de mes vitrines, de mes verreries vénitiennes furent brisées — idéologiques et politiques (ils m'accusaient de n'être qu'un « progressiste esthète ») quand, carte en main, ils adhéreront au même parti.
Je me glace... tellement de douleurs et le sang sur l'oreiller.



Minuit n°45, éd. de Minuit, septembre 1981

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