lundi 5 novembre 2012

Questions de Christophe Petchanatz

Réponses de Michel Valprémy




Quand, comment, pourquoi as-tu commencé d'écrire ? Quelles influences ? Pourquoi continues-tu d'écrire ?


Quand ?

Tard, en 1964, j'avais dix-sept ans. Je dis tard vu que, jusqu'à cette date, l'écriture et la lecture ne jouèrent aucun rôle particulier dans ma vie, à deux exceptions près. Tandis que la scolarité s'envasait dans une honnête et constante médiocrité, je ne lus.de mon propre chef .qu'un Steinbeck, Des souris et des hommes, et n'écrivis pour moi-même qu'une narration relatant un cross poussif sous la pluie, un trot désespéré qui s'achevait dans le foin d'une grange au parfum acre ; il y avait des larmes.de la pluie, des odeurs, je me promettais d'en finir avec un corps par trop encombrant. Des broutilles donc. En revanche, dès l'âge de huit ans, je pris goût à la correspondance. Le dessin, sans doute, me permit de m'épancher avec un soupçon de singularité ; mais, c'est dans la manie des catalogues, des listes, des répertoires circonstanciés, manie qui soulignait une tendance à collectionner tout et n'importe quoi — petits trésors — que je peux reconnaître aujourd'hui l'embryon d'une écriture.


Comment ?

Il y eut d'abord un Carnet du désir où je réunissais les passages érotiques des livres qu'on me prêtait (Miller, Tropique du Capricorne) et une sorte de catalogue exhaustif de mes lectures que je résumais avec soin (nombreux ouvrages sur les religions, l'ésotérisme). Puis les deux cahiers se mêlèrent, les commentaires s'étoffèrent. En 65, mon Journal ne contenait plus les scènes licencieuses ; les notes de lecture (sans condensés), les observations personnelles sur la vie quotidienne, la famille, les rencontres, l'amour alternaient avec les premiers poèmes, les premières fictions brèves. Il s'agissait de faire bloc, un ensemble compact, loin de tout éparpillement. Je n'ai jamais cessé de tenir un Journal qui a perdu sa forme monolithique, mais n'en demeure pas moins le sédiment de mon travail.


Pourquoi ?

Il doit bien y avoir une raison, ou plusieurs ; un point de départ, ou plusieurs. Je dirais tout de go : écrire pour me reconstituer un corps. Je crois (je m'en suis peut-être convaincu) que je connais l'origine exacte de la douleur ; oui, je ne veux pas seulement qu'il en soit ainsi, écrire pour me reconstituer un corps, le corps — intact — antérieur à la cicatrice ( œuvre du bistouri ), à l'odeur de charogne, le reconstituer, ou, suite à la mésaventure de l'obésité — une trop longue clôture forcée — le rendre non pas opaque, mais simplement ordinaire. En fait, j'ai commencé de lire, d'écrire quand le corps commença de prendre sa revanche. D' une part je sortais mon corps, je le présentais au monde extérieur, d' autre part je notais les aléas, les avatars de cette parade. L'écriture entretenait l'isolement, elle le nourrissait. Un extraordinaire, un insatiable besoin d’aimer et d’être aimé, je crois que c’est cela qui m’a poussé à écrire ; besoin quasi mystique, au surplus, car j’acceptais qu’il ne trouva pas, de mon vivant, sa récompense. (Gide)


Quelles influences ?

Si je dois à Jules Laforgue ma première émotion littéraire : Convalescent au lit, ancré de courbatures/Je me plais aux dessins bleus de ma couverture, Valéry fut mon poète élu, Valéry avant Mallarmé et Rimbaud. Mais, je me donnai Gide pour maître. Je le lus in extenso avec avidité et méthode. Narcissisme, libération, goût de l'effort, individualisme, tout cela résonnait clairement en moi. Gide ne m'a plus quitté, je le choisis pour mon mémoire de maîtrise, son Journal est toujours à portée de la main, cet été je relus Paludes non sans enthousiasme et je considère La tentative amoureuse comme un bijou précieux (aux deux sens du terme). Peut-on parler d'influence ? Je ne saurais dire. Pourtant, je peux me retrouver dans ce raccourci : Il est porté d’une part vers l’effusion lyrique et la confession, d’autre part vers la parodie. (Maurice Nadeau, préface à l'édition de La Pléiade)
Exception faite de mon Journal que je truffe néanmoins de nombreux sic, ce que j'écrivais n'était qu'un charabia. Je le dis sans fausse modestie ; il y entrait, au contraire, beaucoup d'orgueil. Il s'agissait d'être occulte, absolument hermétique. Je devais être le seul à me comprendre, voire à me lire — calligraphie minuscule, au plus serré — et, d'ailleurs, pendant quinze ans, je tins mes écrits au secret.
Aujourd'hui, j'éprouve une grande admiration pour René Crevel et le Tony Duvert de District ou des Petits métiers.


Pourquoi continuer ?

Je ne me souviens pas, depuis 64, d'une seule journée sans écriture. J'ai eu dès le départ le sentiment d'un vécu bancal, atrophié s'il n'était pas écrit. Maintenant, je me dis que je ne continue pas d'écrire ; c'est la vie extérieure qui continue son cours. Cherché-je un peu d'éternité, c'est-à-dire d'immobilité ?
J'écris parce que le corps a perdu (il avait perdu d'avance, le ver était dans le fruit), parce qu'il feignait de l'ignorer dans ses relatifs triomphes— scène, séduction, passion amoureuse. Il était incurable. L'éden interdit, il fallait le rebâtir. Mais, seuls les vestiges parlent du vieux monde.


Quelques questions complémentaires.

Dans quelle mesure le rythme peut-il, chez toi, prendre le pas sur le sens ? Quel est ton sentiment vis-à-vis des objets ? Y-a-t-il là un rapport avec ce goût des catalogues, des listes et du journal qui transparaît, plus ou moins déguisé, dans tes écrits ? Pourquoi ces références moyenâgeuses ?

Gide encore : L'exigence de mon oreille, jusqu’à ces dernières années, était telle que j’aurais plié la signification d’une phrase à son ombre. Puis, La musique de la phrase… j’y attache aujourd’hui moins de prix qu’à sa netteté, son exactitude et cette force de persuasion compagne de son animation profonde. Si je souhaite obtenir des forces égales entre le rythme et le sens, j'accorde plus de valeur — plus de pouvoir sur moi — à ce dernier. Je redoute l'effet de style en rupture avec l'ensemble du texte ; s'il s'impose, je le signale ironiquement, je fais en sorte qu'il en soit ainsi. Peut-être cherché-je un rythme au-dessus du texte, un éclairage diffus et enveloppant, exactement comme je découvre chez Sylvie Nève un sens au-dessus du poème.
Les objets volumineux, les meubles imposants m'indiffèrent et je n'ai aucun goût pour l'accumulation immédiate contrairement à T. avec qui je vis. Lenteur, acquisition progressive ; objets de peu, de rien, toujours très symboliques et affectifs, objets de la mémoire, usés, empoussiérés. Dans l'écriture, il n'y a pas de premier jet, un bloc que je pourrais modifier, araser, augmenter. Je peux revenir en arrière sur un paragraphe considéré comme définitif, j'ignore les longues échappées, le sprint. Du mot à mot, chaque jour une nouvelle pièce apportée au puzzle. Il est vrai que la forme du journal me convient, pour sa rigueur, la régularité, et aussi pour la possibilité d'une improvisation — une illusion de liberté —à l'intérieur d'un cadre strict.
Les références moyenâgeuses ? Je parlerais plus volontiers d'archaïsme rural, celui que j'ai connu, aimé, plus qu'aimé enfant, dans un village de Dordogne. Je crois avoir usé, abusé sans doute, dans mes textes de rituels mixtes ou bâtards. Ils furent ma première invention et constamment présents dans les jeux de groupe : sacrifices, messes rigolotes ou franchement paillardes, mimodrames et bluettes, parcours érotiques initiatiques ; toujours en un lieu précis, nettement délimité, sanctifié — une enceinte.


Ch. Petchanatz, Septembre 1988, publié dans Morceaux choisis, LCF, octobre 1991

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.