dimanche 25 novembre 2012

Un bout de tôle, quatre citrons et une épine

Michel Valprémy




Un bout de tôle, quatre citrons et une épine.

(Je lus dieu-tige, je me rappelle l’éblouissement, la volée de flèches. Je n’y reviens pas. Je tente de transcrire ici les premiers impacts ; des notes mentales en quelque sorte).


Droit, le vers, si sec ─ « sec » est le vers ─, si droit. Colonne(s) de vers secs, de segments courts, la « tige » précisément, ou l’« épi », l’ « épine », le « dard ».
Et là, dans l’apparence, dans l’immédiate saisie, un monde de rondeurs, de lignes courbes, de parenthèses et d’humidité.
Il écrit ─ on dirait ─ par retranchement.
Ou il vise juste. Il voit juste. La saisie est prompte, radicale.
Il ne tresse pas, ne tortille pas, n’entortille pas. Pas de surabondance, de saturation.
Quinte essence.
Il y a une impatience dans la note, un aplomb. Ceci est.
Il y a fébrilité.
Il ne creuse pas, il épingle.
On ne parlera pas d’orpaillage. Ce ne sont ni miettes, ni tessons, mais un fil tendu, des fils (résille de sel).
D’où cette impression de claire-voie (entre les cils et les roseaux) qui peut être du ton sur ton, soleil contre soleil, la nuit et sa doublure, l’ombre de l’ombre.
On lit donc entre les fils, entre les lattes, entre les vers.
Pas de totalité spatiale, mais une fragmentation, une parcellisation qui par la répétition peut devenir sédimentation, cristallisation.
L’encoche, l’encoche surtout, le très rare ornement.
L.-F.D. archer.
Pas d’exotisme colorié. Chacun porte son Afrique s’il est resté l’enfant.
L’espace géographique est toujours celui du désir.
La bête est celle du désir.
Le bestiaire est nombreux.
Le désir est nombreux.
Il lui faut le sable, pas tout le sable, le grain, le triangle des dunes.
La fleur donne son nom, juste son nom. Le mot savant est exclu, le grand lexique, la rhétorique.
dieu sans majuscule porte tous les noms.
Le poème insoluble en lui-même.
Le poème irrésolu.
La répétition (tous les ciels), fait musique en des suites et variations infinies. Poésie d’arpèges (fil de fer ─ on y revient ─ pincé).
Oui, sans cesse recommencer : c’est la probable névralgie. C’est la tragédie.
Registre sensoriel d’une extrême pureté (rien en trop).
L’épine perce toujours la peau.
Erotisme élémentaire (il n’y a que dons).
Echange des corps en morceaux.
Tout brûle et coule et bat.

Diérèse n°28, hiver 2004/2005

Sans Noms 30 à 37

Michel Valprémy










Testament n°7

Michel Valprémy



17 juin, jour de mes 47 ans

J'avais l'intention, avant ma mort, de ne régler aucun des problèmes de succession. Ma fortune est imposante, mes biens considérables, mes œuvres d'art rares. Vous savez tout cela, mieux que moi peut-être, vos calculs sont faits. Je souhaitais vous abandonner aux empoignades de l'héritage... et la souffrance ne m'accordait que peu de répit... mais, ce matin, alors que je reposais, les yeux clos (me crut-il à nouveau dans le coma ?), savourant encore les ultimes battements de la vie en cette période de rémission que m'accorde la maladie, j'entendis Georges, mon cousin préféré, murmurer à sa jeune femme : « Vraiment ce n'est plus possible, ça pue ici ! c'est intenable ! J'espère que c'est la dernière fois que je viens dans cette chambre 213. Il nous empoisonnera jusqu'au bout ! »
Ne vous récriez pas ! ne l'accablez pas ! que n'ai-je enduré dans ce que vous appeliez mes « pertes de conscience » ! Je n'ai plus tellement de forces et, par à-coups rapproches, la douleur me brûle. J'attends les piqûres (les dernières ?) qui me calmeront sans doute.
Je lègue donc :
A Marguerite, ma nièce, en qui j'avais mis l'espoir (et quelque argent, bien sûr, comme à chacun de vous) non qu'elle me serve de bâton de vieillesse mais qu'au hasard de ses visites elle m'entoure d'un secours tendre — on me répéta qu'elle ne cessait de me reprocher et mon célibat et mon refus de la paternité —, à ma nièce stérile (ce salaud de docteur me le confia comme une tare familiale supplémentaire) mon manoir du Périgord le jour de la naissance de son premier enfant.
A mon cousin Georges qui déteste tant les mauvaises odeurs et qui, le jour du repas des noces d'argent de mes bons parents, me traita de « sale pédale ! » au dessert, ma collection de tableaux (y compris le Cézanne qu'il admirait tant) quand il avouera à toute la famille réunie que je le rencontrai à plusieurs reprises rôdant, la nuit, près des vespasiennes du jardin public. Nous eûmes un jeune amant commun. Il existe des lettres compromettantes.
Le mal se ramifie, mes doigts tremblent et je ne partirai pas, vertueux, dans le pardon.
A ma belle-sœur Irène qui ironisa tous les dimanches à l'heure de la messe parce qu'elle me surprit une fois priant (et pleurant) sur un banc de l'église Saint-Paul, la totalité de mes meubles quand elle aura parcouru dans la plus grande ferveur, à genoux, le jour de Pâques le chemin de croix de Lourdes, trois années consécutives. Amen !
Aux jumeaux de mon frère Nestor (Dieu ait son âme, très chère Irène) tout ce qui restera dans mes coffres après les trafics de l'Etat, en souvenir de leurs disputes — tant de mes vitrines, de mes verreries vénitiennes furent brisées — idéologiques et politiques (ils m'accusaient de n'être qu'un « progressiste esthète ») quand, carte en main, ils adhéreront au même parti.
Je me glace... tellement de douleurs et le sang sur l'oreiller.



Minuit n°45, éd. de Minuit, septembre 1981

Sans Noms 23 à 29

Michel Valprémy









Inédits

mardi 20 novembre 2012

Flashes (peinture jaune et autres vues)

Michel Valprémy




TANGER


un ciel drapeau sur la chair bleue des créneaux


désert blanc message soleil le nectar d'une tubéreuse


orteils crasseux et paume creuse dans le fumet des tripes fraîches la fragrance des verveines


(fable du marabout)
c’est une colline qu’’on ne regarde que de loin – à regards comptés – on ignore ce qui viendra (la foudre, le miracle) l’ère portera le nom de la colline qu’on ne regarde que de loin toutes les machines parleront on comptera nos sous


son rire invente l’émail il effeuille la menthe sur ma langue dans l’odeur aïeule d’une huile brûlée je lèche sa cuisse épicée bois l’eau de son coude la couverture bergère est une bonne paille on rampe sur nos ombres les dalles cuisent l’os


entre terrasse et marché le trémail des ruelles il pleut le ciel en damiers


ses deux béquilles en autel il prie – si loin La Mecque à cloche-pied


l’œil rasant le bâillon (encre en arabesque) femmes accroupies au seuil des maisons meringuées vierges urbaines sourire absent


éventail colorié des guenilles le soleil fossilise un sillage de linges


grêle sur pattes d’oiseau une pièce pour porter trois couffins de ripaille – l’étagère comblée on  parle élégamment de régimes


la peau du temps vibre c’est l’aube de la terre dans l’orgie des tambours


de sa bouche coule un jus d’olives des mots d’abordage il présente la figue et l’ambre soulève le coton bleu la blessure est intacte


après muezzin sur antennes T.V. les palmes zèbrent le pisé somnolences des sieste au secours des pins des bougainvillées vers l’horizon coton il médite ou ne pense plus



chaque été mes sandales neuves
je cherchais un sentier digne
de mon chien
 

1980, revu 1985, paru dans Rectangle n°7, juillet 1985



Tabacs

Michel Valprémy




1

fleur de hasch je creuse ta bouche tu larmes une bulle de licences (savoir trempé, multicolère) un orchestre falsifié bégaie la peine je lape ta morve quelques restes liquides (coca-cola) sur ma langue les mots s’encornent


2

tout s’use on vieillira sous des montagnes de solde je marche œil albumen pieds spongieux sur des passerelles vermoulues s’écaillent les mouettes les petits enfants et nos anciens désirs
le soir à l’abri des palmes — plus de cages, d’interdits mineurs, de discours ammoniacs — on avance à flots (sans se tenir) avec des fibres inventées le rêve s’incruste dans l’orbe du tabac — pilules fondante, onguents miellés


3

à Claudine

passacaille et ratamouille obélisque des grands fonds envergogne et zigzotant sirop de tous les diables ---------- ah ! mes perfusions de bazar ---------- peut-être ouais mais quel trip toutes seringues abolies en désorience et fichemolle
"Bof ça dépend où tu tiens ton piment ?"
queue de rat et raplapla  allons-y gayment dans l’alvéole des mistoufles bordure du rédéda caille morte etcétéra ---------- on en verra de plus joviales sous  ton appel aux dieux farceurs je ne te dis que ça : caracole la cornaline bijou de fou drop des fougères ---------- bon


4

A Francis C.

pancarte d’éden (les alizés au dépôt ?)
—O—
chant des folles soprani belles libellules des loggias foulards noués des endormies en ultima preghiera
star des songes muets tu balbuties en libre arbitre un programme de filles en mélanges (histoire d’y croire un peu)
Larme de paille en colegram ces archives de la mémoire l’illustration/les dégâts
(bouf ouf bouffi
le petit nombril)
"T’es pâle, t’as les yeux mâchés, t’as la tête de quelqu’un qui va dégueuler" parole d’inconverti on y reviendra au magma sans permission en oubli petit tout petit pygmée sous les immeubles à ras l’asphalte


5

à Claude

en langues lisse et râpues dans l’entrecuisse poissé — odeurs nicotine — à petits coups ciguë sur la déhiscence du cul ---------- des salves quel premier passage ? la large queue gorgée peut-être ---------- pour remède à l’absence je branle ma grenade ---------- dans les yeux — tout le masque — ta semence en bouillie

6

vermeil au centre de l’orange les mains claquent je pars en zone fortuite avec vous nomades extérieurs (je dis tout et son peuple) je ne décortique plus rien — ni le grain ni la pelure — je pars ailes au talon un serpent fouit le combat est amène c’est une pluie de cendres dans ma tête continue tambour le grand mouroir est là une chandelle/le ciel étoilé (MAZZZZZDA)


7

tu insistes le regard caramel (rire roulade en éclats de coquille, girouette des mains cassées) je te guette et ne fièvre sous les parapluies des platanes Neptune des dauphins cracheurs je te guette et te braise sur la place ambulante visage au font doré dans le ru d’une foule surexposée


8

tout est foutu dès le départ le cerveau est un cimetière de cellule usées un cordon pète
MAMAN !!!
l’eau fugue les murs couvent des ombres lisses ta souris se déglingue j’entends des clavecins (nocturnes en archipel) je suis un garde-vivre des abeilles s’y cognent on dirait des chamailles dans un fouillis de plumes ---------- il ne faut pas laisser la pipe refroidir


9

blue star et pickpocket pub tête de lama œil arc-en-ciel radotant Colombo café soluble affiches réclames bagues et bulles Hollywood un soir de marasme tu voyageras autre camp semelle variée sur la fumée sacrée du bâton ceylanais plane le sitar sirène d’exode ou chant cygne de l’homme broyé ici dans la maison d’Europe


10

le taxiphone se tait les grues obscènes crèvent le ciel mon désert est régal je vois des yeux glacés au fond du verre (je + x) le ventilateur ne couvre de lierre on sue l’alcool le tabac nous écharpe GO ON mon âme la voie n’a pas d’issue on a brisé les ( )
mégots à terre bout mâche


1977/1980, revu 1985, paru dans Rectangle n°7, juillet 1985