samedi 7 juillet 2012

Le matelas de chair

Michel Valprémy



Entre tous, je suis le plus gros, le plus gras, l’énorme poussah. Personne ne m’égalera. Jeannot et Luc sont menus comme des haricots verts, un peu ridicules à voir quand ils se baignent. Je ne me déshabille jamais, ils rougiraient de leur ventre creux. La sècheresse n’en finit pas cette année. Je reste à l’ombre de peur de fondre. Je les surveille. Ils brassent l’eau de la rivière, s’aspergent en riant, collent leur bouche l’une sur l’autre, glissent leurs doigts trop fins entre leurs jambes, écartent leurs fesses étriquées pour regarder de plus près. Je mange, je ne perds pas de temps. Ça leur fait plaisir. J’ai promis, en dehors des repas, d’avaler, toutes les heures, quatre tartines de pain beurré. Ils ont leur plan. C’est une surprise, la surprise du matelas de chair vivante.
Les groseilles à maquereau éclatent. Le soleil grille la prairie. Plus je bois, plus je sue. Je vais au rendez-vous. Mes cuisses se chevauchent, brûlent. La gourde est vide. Au fond du verger, en pleine lumière, Jeannot et Luc, nus, jouent aux duellistes avec leur pipeau dressé vers le ciel. Leur maigreur fait pitié ; à pleurer. Ils se chatouillent. Ils disent qu’ils n’ont pas assez de quatre mains.
J’obéis. J’enlève mes vêtements. A leurs grimaces, je vois bien qu’ils jalousent mes rondeurs. Je fais le modeste. J’obéis. Je me couche sur le ventre, les bras et les pieds serrés. Jeannot et Luc plantent des piquets autour de moi, éraflent à peine ce qui déborde. Ils parlent beaucoup de la fatigue, de la chaleur. Ils doivent être comme suspendus dans l’air, la peau ne toucher que la peau. Les piquets ne sont là qu’en cas de maladresse, de chute. Ils s’allongent sur moi, gigotent, légers, bouillants et mouillés. Leur amour pour moi n’a pas son pareil.


Le Miracle tatoué n°1, juin 1990

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