dimanche 20 mai 2012

Huit messages authentiques de Loris, jeune et joli garçon de cœur

Michel Valprémy



1
Cher,
Laissez moi m’éloigner, quitter votre demeure  à la fois cossue et intime, où le goût, en cette époque de fléchissement des élégances, règne, si j’ose dire, des caves aux mansardes, partir donc vers un horizon gris – le ciel couvert de l’aube m’y invite –, de ce gris particulier annonciateur de neige, là-bas, où je me souviendrai de vous, de vos tempes salines, de votre humeur morose, où je maudirai les couleurs et l’orgueil de ma trop éclatante jeunesse.
Je suis et reste votre dandy, votre oiseau royal, petit perroquet du soir.


2
Cher,
Soyez heureux, j’ai osé – comme vous m’y incitiez – ouvrir le couvercle du précieux coffret
Où des biches d’ivoire gambadent sur un tapis de roses, heureux doublement car, pour combler vos vœux, j’ai puisé à l’envie dans le trésor qui s’offrait. Mes doigts n’ont pas tremblé, à peine ai-je ressenti une légère impatience au creux du ventre. Pouvais-je sans vous décevoir ou vous humilier, me contenter d’une bague, d’un misérable billet ? Mon avidité fut une superbe déraison. Je me suis Sali les mains et le cœur pour l’amour de vous. Mais, dès ce soir, je vous reviendrai pauvre, pur et sans repentir.
Je suis et reste votre vaurien chéri, petit salaud en boucles d’or.


3
Cher grand ami,
Homme aveugle, vous vous êtes mépris sur mon attitude. Je n’ai pas refusé de vous donner mes lèvres, j’ai reporté cette première fois à une heure idéale, sublime, quand le désir que j’ai de vous ne devra rien à la bête fiévreuse qui m’anime dès que je vous vois seigneurial et bon, tel l’empereur romain prononçant sa clémence. J’en appelle au commerce des âmes. De votre corps las, je souhaite dissiper le charme. Les ruines antiques ne sont-elles pas aujourd’hui, plus émouvantes qu’au temps de leur splendeur ? Ô vestige du beau, plus beau que ce qui fut beau !
Je suis pâtre et chaste, votre garce rusée.


4
Mon ami,
Oui, le monde extérieur vous est interdit. Vous habitez plus haut que le commun des mortels, plus haut, plus loin. Vous avez décidé d’en finir radicalement avec la vie, je vous crois digne de cet acte héroïque. Ne vous voilez pas la face, ne mentez pas ! Vous ne respirez pas que pour moi, moi votre unique espoir et votre lumière ; triste clarté en vérité, qui vous amollit et contrarie la fatalité brutale et noble de votre destin.
Moi, moi qui vous aime et vous tue.


5
Tendre ami,
Comment avez-vous deviné ? Qui avez-vous soudoyé ? Je n’ai avoué que mon amour du vent et de la vitesse, que cette folie-là qui me brule et me hante plus que l’extase de la viande vive sur un drap. La honte me recouvre, on a vidé un sac d’épluchures sur mes épaules. Le bolide que j’étrenne au soleil couchant ne me vient pas de vous, il tombe du ciel en récompense de mon rêve et de mon désir ardents. Que mon ombre vous accompagne éternellement !
Je suis Icare et Pégase, votre intrépide gazelle.


6
Ami,
Ce fut, au bord de la piscine, une vision trop brève. Vos mains, un instant, n’ont ^lus retenu les pans de votre peignoir bleu Nattier. Je me souvins – puisque je vous dis tout – d’une image de la rue : un miséreux, sale, malodorant, une centenaire de la cloche quémandait aux passants de décembre ; par l’ouverture de la braguette, au milieu des linges douteux son sexe parut, aussi lisse et frais que le flutiau d’un adolescent. J’en fus mystérieusement troublé. Quoi ! tout ne doit-il pas pourrir avec les années ?
Je suis votre valet de pied, l’infirmier du dernier jour.


7
Vieux fou,
Ah ! si j’étais Manon, je vous tendrai mon miroir. Regardez-vous ! Regardez-nous ! Et mon rire glacerait votre sang déjà froid. Votre jalousie ? Je m’en bats l’œil ou, plus proprement di, je m’en torche. Quand je couche avec Guillaume, un conquérant de pacotille – mais son dard vaut Durandal –, je m’adore à en mourir, je me pénètre et me féconde. Ma croupe vous tourmente ? Savez-vous, Monsieur, qu’on ne touche pas les sirènes.
Je reste votre gracieux giton, poudre et poison subtil.


8
Mon grand singe ridé,

Les vieilles tantouses finissent-elles par baver dans leur porcelaine chinoise ? Vous crèverez lentement comme chauve-souris crucifiée sur la porte des maisons maudites ; plus dure sera la chute ! Allez, ailleurs, subir le fouet ! Adieu, mon crachat, pour vous, n’est-il pas une fleur d’aubépine ?


Mrôrch, novembre 1988

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