dimanche 20 mai 2012

François H.

Michel Valprémy



François H. est un casanier, vraiment; incorrigible dit-il. Il est de ceux qu'on oublie en chemin, sur le quai de la gare, derrière la porte. Sa discrétion appartient déjà à la légende. Des cercles de conversation, il ne connaît que la périphérie, il ne s'avance jamais au centre et reste longtemps debout quand chacun est assis; debout, silencieux. 

Nous habitons à quelques centaines de mètres de distance, nous ne nous voyons pas plus d'une ou deux fois l'an. Il passe rarement sous mes fenêtres, glisse ses recueils dans ma boîte, ne sonne jamais ; pour ne pas déranger dit-il. Je force donc l'entrée de sa tour, qui n'est pas d'ivoire, pour de brèves rencontres où je m'obstine à combler les silences. Il suffirait pourtant d'attendre qu'il ait tiré trois fois sur sa pipe. Mais, peut-être préfère-t-il écouter, écouter d'abord. Ou envoyer de longues lettres écrites d'un seul souffle, comme si la parole trop longtemps retenue se libérait enfin, dense et précise. 

François H. est un des plus fins lecteurs que je connaisse (Bobillot en est un autre), il pèle les textes, les décortique, les écaille. Il presse la pulpe, ne néglige pas les pépins. Ses analyses ne sont ni désinvoltes ni hautaines: ma "compréhension" relève le plus souvent de l’enthousiasme, de la sympathie, de la gourmandise. Je savais bien que 1' ivoire de la tour lui était inconnu.


Zarathoustra dans le métro, n°8, 1989

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