L'Ormeau le I Juillet,
Monsieur,
Ce matin, au réveil, le
soleil caressait mon lit. J'ai repoussé le drap pour mieux goûter la chaleur
des rayons sur mes cuisses nues. Mon grand polo bleu (celui que vous aimez,
vous me l'avez dit la seule fois que vous m'avez abordé; je ne me souviens pas
d'une autre phrase ni de votre main dans la mienne, de votre paume sur mon
épaule), mon grand polo bleu se soulevait à hauteur de mon ventre et je pensais
à vous. Je contractais mes muscles périnéaux (j'aime cet adjectif, je l'ai
appris récemment), le polo se tendait, se plissait comme le ciel ou la mer
d'une affiche publicitaire. J’ai fait l'endormi, mes parents se préparaient
pour la messe. Après leur départ je me suis levé et, sur la glace de l'armoire,
j'ai écrit votre nom avec un morceau de savon. Je sais où vous habitez, je vous
ai suivi hier jusqu'à votre porte Monsieur le Juge (j'ai lu votre plaque bien
astiquée).Vous aviez l'air triste, votre cou paraissait si court soudain que je
ne distinguais plus vos cheveux gris entre le revers de votre veste et ce
chapeau un peu ridicule qui ne vous quitte jamais. J’avais envie de vous tenir
le bras pour vous aider à monter les marches de votre perron, mais j'ai ramassé
un fragment de tuile pour le jeter dans votre direction. Aujourd’hui je
regrette de vous avoir manqué.
Cela fait presque trois
mois (les marronniers étaient drus) que chaque vendredi après-midi, à quatre
heures, vous attendez assis sur le banc du square lisant votre journal. Hier
donc, le dernier jour de l'année scolaire, pour vous, je portais mon polo bleu,
j'avais aussi emporté mon peigne, j'ai attendu que toute la classe sorte pour
me recoiffer, lisser ma mèche. Quand je suis passé devant le banc, comme à
votre habitude vous n'avez pas détaché le regard de votre journal. Je me
dirigeai vers la rivière (dépassant le coin des baignades) jusqu'au Pont des 4
Chemins. Je me retournai plusieurs fois, je savais que vous marchiez derrière
moi. Je ralentissais le pas, cueillais des fleurs que je mâchonnais quand vous
vous arrêtiez pour parler à quelqu'un. Vous en connaissez du monde Monsieur le
Juge ! Cette promenade dura longtemps, une heure peut-être. Je redoutais
l'apparition d'une brume, la montée imprévue d'un orage. Je me suis dévêtu près
de l'ancien lavoir déserté depuis longtemps et, en maillot de bain, je
m'étendis en pleine lumière. J'ai fermé les yeux jusqu'à 1a première ombre..Vous
étiez toujours là, votre chapeau flottant au-dessus des joncs. Mon cœur tapait
si fort que je croyais entendre trembler la terre. Alors, sans me redresser
j'ai ôté mon maillot, ouvert les jambes dans votre direction et rabattu mes
genoux sur mes épaules. J’avais peur mais j'étais sûr de vous faire plaisir. Vous
êtes parti brusquement. Rhabillé en toute hâte je vous ai suivie…
Vous ne me croirez sans
doute pas mais j'aurais pu tout aussi bien me jeter dans la rivière pour y
mourir. Ce n'était pas la honte qui me poussait ni la vengeance, non, mais la
déception qui "vous" obsède après un pacte inabouti, une promesse
brisée.
Voilà, je crache sur le
miroir, efface votre nom. Ce soir je prends le train pour les vacances
annuelles au bord de l'océan. A la rentrée je ne retournerai pas au lycée et le
square n'existera plus. Je vais glisser moi-même cette lettre dans votre boite,
j'espère que vous serez le premier à la lire. Adieu.
P.S. Ci-joint un morceau
de mon polo bleu. Je vais le brûler à l'instant
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