vendredi 11 mai 2012

Comment dire vivre !

Michel Valprémy


Toute une ère tranquille. Se repose depuis des mois sous un ciel laiteux et le ciel est partout. Se déplace à peine (quelques siestes pour mieux dormir) dans une sphère d’ombres silencieuses, cerné sans contrainte d’une végétation aqueuse (décor de voiles, de cellophane). Oscille, se balance. Rêve beaucoup, sans images, sans histoire. N’a jamais faim ni soif, non jamais. A l’impression d’être comblé, pourvu de tout, malgré lui comme si, au-dessus ou plus loin peut être, une force invisible, inaccessible le portait. Ni paroles ni musiques ou très assourdies – tambours distants. Personne. Sait qu’il est bien, se le répète. Ne désire rien d’autre que cette latence oisive, indolore. Parfois une pression légère l’oblige avec une ferme douceur à replier ses membres, à dodeliner de la tête, à se renverser. Pourtant se révolte et s’agite mais après quelques soubresauts, un réflexe, s’immobilise à nouveau dans le sommeil. Ni air ni souffle, un climat tempéré en toutes saisons immobiles. 

Puis, sans raison, sait qu’il doit se lever, se séparer de ce temps sans heures, sans comptes où il ne vieillit pas. Des haut-le-cœur aigrissent sa léthargie, vacille, s’accroche aux lambeaux des arbres qui s’agitent et le giflent. Cataclysme, typhon, raz de marée. Arraché de sa couche la peau distendue comme élastique usé. Bave, se débat, souffre, veut appeler (prier peut-être) mais sa gorge reste muette. Un torrent d’eaux glauques le roule, l’emporte. Ne résiste plus. Est aspiré par un cyclone glacé. Croit ses ongles brisés. Saisit un cordage muqueux qui l’encercle et l’étouffe. 

Il pleut 

Dans un tunnel suintant, étroit, sans la moindre clarté, n’ose avancer. Les parois de lichens et de marnes molles le font déraper. Tombe et sa peau s’écorche. Du sang chargé de fièvres embue ses yeux. N’ouvre plus ses paupières et commence de regretter son hamac, son enclos. Où se consoler ? Peur. Résiste au lent glissement. Rien qu’un déplacement imperceptible. Se décide à voir. Soudain, perçoit une lumière blanche. Veut y aller, gesticule comme ver. 

Au bord de la grotte une main de géant, sans corps, le tire l’arrache, lui défonce le crâne. 

Il crie !


Cassiopée ou l'Envers du Rien, n°1, avril 1983

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