vendredi 11 mai 2012

Comedia

Michel Valprémy


Les horloges des hommes battent la chamade. Il a déposé son fardeau. Dans la foule, les plus endurcis, des miliciens, une demi-douzaine de marâtres cruelles, un roi du bistouri, le bourreau des cœurs, le tueur des abattoirs et ses robustes compagnes versent une larme ou mordent leur langue. 

Ses épaules souffrent encore mille morts, une telle fatigue n'est pas mesurable. 

Les matières dures, résistantes, les outils lui font horreur. Pour bâtir son abri, il collectionne les pelures d'orange, la mue des couleuvres. Il ne soulève que plumes de corbeaux et de geais — les noires, les bleues, les bleu noir —, fétus de paille — l'avoine surtout —, brins de laine ou touffes de poils; trois lys en bouquet lui cassent l'échiné. 

En guise de litière, il choisit des boues molles, des vases émollientes. Il dort souvent, vingt-trois heures sur vingt-quatre, plus que le chat très sommeilleux. 

Parfois, des images anciennes, des turbulences saugrenues troublent sa léthargie; fils prodigue ou spectre d'une rose, quelque ballerino bande un arc invisible, bondit sur des balcons en trompe-l’œil, imite le cygne ou le chasseur d'amour éperdu. Le zapateado ébranle les lustres. Au jour le jour, la frénésie gâte l'os. 

Les visages des songes s'estompent. Des gestes précis, sans conséquence, persistent: un index interrogateur, des signes d'appel et de luttes (mille gifles à la minute), une main au cul. 

Ses muscles ont fondu, la peau est une éponge usée. 

Quant au sexe, maltraité à point nommé, il n'a plus osé le moindre redressement fatal.


Voluptiare Cogitationes, 1987

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