mardi 13 mars 2012

Compte rendu de EMBLEMES EVIDES (Polder 22)

par François Huglo



Premier recueil. Non de ceux qui" promettent, dit-on, puisqu'il tient. Expulsé des miroirs soporifiques qui répondent aux doutes par des clichés. Arraché aux glus du "moi", de ses
imaginaires prêt-à-porter. Pas même les dramaturgies, incantations, mises en scène, d'un Gênet. Tous écheveaux évides reste la hampe, torsadée mois nue. L'emblème. Dressé, le blason. Ecriture d'un corps, corps d'une écriture, "...ne rien imaginer, déjà, la peau réveil (au plus succinct, au plus immédiat)". Jets brefs, discontinus, serrés, forte pression, (loin des lyrismes dégoulinants). Les points de suspension de Valprémy ne sont pas des ouvertures du diaphragme vers l'infini. L'ineffable, des flous artistiques, ils ne signifient pas : "je vous laisse imaginer ce que je suis incapable de dire", ils sont vides, silences, détachant nette, brute, matérielle, très contractée ("latences, jouent du désir"), incontournable, l'impression. Ses parenthèses ne sont pas retouches, corrections, à un vêtement mal taillé, mais introduction d'un autre plan, d'une seconde voix. Au lecteur de lire. (Oui, lecteur. Les aveugles qui jugent "illisible" le pas-déjà-lu, les audiences de sourds qui fond les "indices d'écoute", iront chercher sur d'autres boulevards leur ron-ron). Nous sommes ici, fraudeurs, sur un "sentier, parenthèses d'un exode initial, source de l'Ecriture, loin des "petits chefs de l'art provincial' qui "dictent des ordres barbelés" et "distribuent muselières en récompense", loin de l'invention (?) qui se "mord la queue (plaire au plus offrant)". N'attendant rien. Eveillés.

La Revue n° 27, printemps 1986

mercredi 7 mars 2012

Michel Valprémy, Prolonger la giration. Par François Huglo

Publié dans Décharge n° 93, Juin 1997



Michel Valprémy : Petit maître de la fin du XXème siècle. "Le poète de l'an 2000" ? L'expression qu'un revuiste d'Aquitaine tiendrait de Seghers, provoque l'hilarité de l'auteur. D'autant plus auteur (autorité, maîtrise, sûreté du trait, c'est à dire du vers, du segment musical), d'autant plus "maître" que...petit? Pourtant, rien de mesquin, de bas. Risquons l'archaïsme, osons parler de la noblesse des sentiments et des idées, sans laquelle pourraient être pris à contresens les épithètes "artiste" ou "précieux", Michel Valprémy ne pouvant être pris que de très loin pour un esthète, un dilettante, un fétichiste. Swann n'est pas son cousin, Ubu roi ou pape non plus (le maître est petit comme les minutes, comme les grains de sable immémorial), l'ange peut-être (1). En témoignerait maint malade hospitalisé ou non, maint petit commerçant du quartier, maint voisin, et jusqu'au porc, celui de Porchaison (2), débonnaire, écartelé. Noblesse d'épée de l'archange Michel ? Le chevalier trempé compatit, Quichotte comprend Chichi et Chochotte (3) pèse les âmes, les dorées sont les plus noires. La veuve et l'orphelin, la folle et la putain, sont peut-être le messie. Nul angélisme, l'ange est crotté, l'oiseau grouille. On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, mais de bonnes potences, de bonnes cangues, sur lesquelles l'ange cague (4). On ne fait pas non plus de bonne littérature avec de mauvais sentiments (la même chose à l'envers), de mauvaises raisons, de mauvaises excuses. D'abord, faire de la bonne littérature. Ce souci comporte une éthique, une discipline. Petit à petit, se reconstitue le corps valide (5). La critique, l'autocritique, sont implicites, dans le poème, la lettre, le journal. Laisser dire. Prend qui veut. Valprémy ne répond pas, en jésuite, à une question par une question, mais (en janséniste ?) par sa correction. Ici s'enseigne par l'épreuve, sans didactisme ni jargon mais "comme on pressent l'entrevoyure" (6), la liberté du goût, le goût de la liberté (synonyme de noblesse ?), le flair esthétique et social, poétique et politique, le sens de l'orientation vers la justice (l'archange est justicier), sans plus de majuscule qu'à justesse ou à  petit maître, aussi partagé  par les  minorités, aussi en souffrance, que le sens de l'humour. Contrairement au ténor braillard, le chanteur musicien ne donne pas de la voix, mais de l'oreille. Maître est celui qui écoute le tout petit, l'infime et l'infirme, l'enfant qu'il était, puis épèle avec lui, comme on écaille un œuf (détail, fragment, bris de carapaces) le monde que nommait un instant. Le petit peuple des lecteurs de Valprémy ne forme pas un petit noyau, petit groupe, petit clan. Il est plus fiable que la cour des grands (Qui t'a fait grand ? Ta cour ?), s'entraîne à voir où ça cloche, où ça pêche. Poète, si la poésie, plus qu'art majeur ou genre majeur, est ce '"soupirail minuscule" dont parle Rousselot, l'échelle des valeurs lumineuses. Petit maître, pas comme "petil marquis", mais comme "littératures mineures" (7), dignes de l'attention qu'elles exigent, à l'écart des cours tonitruantes des truands.


1 - 1. ange est petit comme la pluie "II pleut ("est un passage". Si Petit-Gris, dans le distinguo, peut rappeler Ubu, M V voue une affection particulière au Jarry des Minutes de sable immémorial.
2 - Les Contemporains Favoris, p 39. Texte publié auparavant dans Plis, "Écrits du Sud-Ouest", Mai 1997.
3 - Voir Chichi, le chevalier trempé, de Sylvie Nève et M V, Cordialité de la rouille, 1989.
4 - "Arrose ton perchoir" / de Cobalt / (là-haut) / loin de nos cols souillés / O tumeurs et glaviots / loin / et loin de nos langues épaisses" (poème-affiche de M V)
5 - "J'écris pour me reconstituer un corps". Réponse à C Petchanatz, entretien paru dans Le Dépli Amoureux.
6 - Léo Ferré, La mémoire et la mer, chanson chère à M V,
7 - Gilles Deleuze.

mardi 6 mars 2012

3 Soleils

Michel Valprémy



Un rayon hellénique plexus incrusté Ô kermesse sacrée or arc-bouté et proférer le cri





la chaleur est une peau
la pierre écaille son eau



la bouche mord la pierre
                        lèche le fruit



dans le vent des sables
la mort dévore l'ombre




la glaise aux genoux
Icare plane
dans le feu s'éblouit
Icare plane
l'aile bout sous l'astre sec
l'huile douce le ronge
Icare plonge
choisit le sel

                                                                                                                            11.12.84

Publié dans Intervention à Haute Voix n°12, juin 1985

3 Mélodies

Michel Valprémy


à André Caldéron



1. 19 heures 33

Haut sur le néon d'un bowling les enseignes de bière pancartes et locations la lumière gît tu vois ces lanières huilées d'or il fait frais à la ceinture soudain d'or primitif oui comme ça entre café et réglisse dans l'odeur saltimbanque des moteurs ce regard supérieur sous une boue bleue le cœur détraqué nuit de pétrole mais mais si j'ai cent balles


2. Impasse floue

Un guet de songe le profil pâle et poreux la bouche si rouge comme baie éclatée suintent les poussières lentes de pluie trop de cheminées coupables tout perdu risques et envols on n'y voit rien sur la vitre non c'est moi qui


3. David

L'épaule de cuir cogne le mur d'un rythme qu'il ne fredonne pas il mâche hollywood je l'épingle œil fermé et manque l'heure des bus il sera cruel une fronde de cahiers neufs déhanché dans la toile de Nîmes trop mat pour l'automne il crache la gomme verte pour moi géant défait de sa bouche coin plissé


I/II/1979

Publié dans Cassiopée ou L'Envers du Rien, n°2, 1983