dimanche 15 mai 2011

Froide préface

Michel Valprémy

Inconnu célèbre ou célèbre inconnu, l'auteur de ces pages n'apparaît que sous cette dénomination énigmatique : Le Maître du Livre Froid. On a longtemps cherché en vain (personne n'a oublié les crises de démence puis le suicide du premier exégète, M. Z.) à expliquer l'origine de cet adjectif « Froid ». Peut-être faut-il tout simplement, sans trop extrapoler, admettre la correspondance ludique — un jeu quelque peu déroutant — avec cet astérisque sépaloïde couronnant le dernier mot du récit et exigeant impression obligatoire sur papier glacé.
Nous ne chercherons pas ici à résumer les quelques mille ouvrages et articles consacrés à la biographie virtuelle de notre anonyme. Bien que généralement on lui attribue une origine modeste (le collectionneur W. ne permet l'accès à sa précieuse vitrine que le 3 janvier, une fois tous les cinq ans et seulement si la neige est tombée), nous ne possédons de lui qu'un fragment de carte de visite où l'on distingue très nettement quatre lettres majuscules : GLAC, un bouton de caleçon en os, un peigne ébréché en écaille. Ces documents ont été découverts pliés dans un vieux chiffon de laine, avec le manuscrit mystérieusement disparu, dans l'étable de ce M. W. La date de composition n'est pas précisée ou très approximativement (une marge de quarante ans). On a parlé de faux, d'imposture, de plagiat, de palimpseste incompréhensible recopié et corrigé tant bien que mal par le palefrenier du même M. W.
Néanmoins nous avons devant nous une œuvre originale, exceptionnelle à tous égards qui a bouleversé le monde littéraire et artistique de ces dernières années. 85 conférences à Paris et en province, 3 colloques internationaux, 9 débats télévisés, un feuilleton radiophonique pendant 8 semaines, 5 courts métrages, une adaptation élaborée pour la vidéo, une altercation mémorable à la Chambre des Députés. Le Maître fut anobli à titre posthume par Sa Majesté la Reine Elisabeth II et la légende veut qu'un fauteuil reste libre à l'Académie Française au cas bien improbable où l'auteur se révélerait encore de ce monde.
Ce livre très ramassé (10 pages) et concis (21 mots) est traduit en 23 langues et dialectes. Sur les 10 pages une est réservée au titre Chair de poule, une à la dédicace « à moi-même », une à l'exergue signé X : « obscur, tellement obscur qu'on n'y voit goutte », une enfin au développement de l'astérisque. Nul doute que la mise en forme et la symbolique des nombres révéleront peu à peu leurs secrets.
Il serait fastidieux dans cette présentation succincte d'envisager une analyse approfondie du texte proprement dit. Pour ceux qui exigeraient de plus amples renseignements reportez-vous à l'étude en trois volumes de la collection « Le Mystère Nu » dans laquelle un séminaire des meilleurs critiques français et étrangers font le point de la recherche contemporaine sur ce chef-d'œuvre.
Y.
Il est recommandé au lecteur de ne pas parcourir ce livre à la hâte mais de disposer de plusieurs heures ininterrompues afin d'en apprécier l'exquise saveur poétique ainsi que toutes les répercussions philosophiques et ésotériques (particulièrement la page 7, vierge).
 
Publié dans Minuit n°50, septembre 1982







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