mardi 1 novembre 2011

Ingambes

Michel Valprémy et Sébastien Morlighem (illustrations)












































- Le Grand Hors Jeu n°72 (sept. 1993) & 74 (mai 1994).
- Morceaux choisis (Les Contemporains favoris), octobre 1991 ("A Irène Hardette")
- Première publication numérique en mars 2004 sur le site de Sébastien Morlighem, reprise en avril 2008 sur le site de l'Homme moderne.

mardi 6 septembre 2011

BAISER

Michel Valprémy




BAISER 1

sirop, le gosier pèle, ta mer dévale, au cap le jus glacé et l'ail peut-être, je couve ton œil, la pâte émaillée, l'insulte me bave, ton eau pue, cette source poissée, si vaine quand, dehors, meurt l'éponge


BAISER 2

succion, l'abrasion des ventouses, au relief du fruit, et le ver perce, langue fondante comme moelle chaude, et mouillée, et serpentine, chenille mordue, tranchée par ma herse


BAISER 3

comme sève, il y eut glaire, la sauce d'une tige sauvage, l'écharde carnée dans la fissure des dents, et le rire gommé, ta bouche au meilleur trou

LPDA n°47, juillet 1985

lundi 8 août 2011

Vient de paraître : AGRAFES de Michel Valprémy

 

 

agraphes

 

Editions Atelier de l’Agneau

350 pages, 24 euros

Préface de François Huglo. Extrait (4è de couverture) :

 

“ Le présent recueil de recueils témoigne de cette aventure éditoriale partagée par un auteur et ceux qui l’ont choisi, distingué, désigné comme favori, en publiant dans des plaquettes agrafées détachées des revues, un peu comme des numéros spéciaux, plutôt comme des spécialités, des textes qui prenaient date. La revue les inscrivait dans une collection, et l’auteur dans sa bibliographie. Des livres ? Presque… Livres minoritaires, nomades, précaires. Mais livres pionniers.”

FESTIVALPREMY – 31 juillet 2011

Compte-rendu

 

          Comme de nombreux amis de Michel Valprémy, le soleil avait réservé sa journée du 31 août, et se tenait aux côtés de Claude Martin pour accueillir chacun à Robin, près de Fronsac, en des lieux familiers à beaucoup, et que d’autres découvraient. Les retrouvailles et rencontres de cette année ont été marquées par la présentation d’Agrafes, recueil des recueils agrafés de Michel, publié par l’Atelier de l’agneau : 350 pages, un record pour l’éditrice Françoise Favretto ! Mais rien d’indigeste en ce livre illustré de nombreux dessins de Michel et des reproductions des couvertures des plaquettes, la maquette de Pierre Valprémy jouant sur la diversité des polices de caractères pour rappeler celle des éditions originales.

          Une même diversité régnait dans l’interprétation, toujours personnelle et juste, des textes de Michel par ces instrumentistes que sont les lecteurs. A son « feuilleton » d’extraits de L’appartement moutarde, Sylvie Nève avait ajouté un passage de Petits crapauds du temps qui passe (Michel Valprémy - Jacques Izoard), lu en duo avec Marie Delvigne qui nous offrit aussi une page de Miettes en sauce. François Maurin avait choisi des fragments de Rose, Raoul et Courte-queue, et trouvé parmi les Stèles de Victor Segalen un message pour Claude Martin. Albumville passa par la voix de Denis Ferdinande, Lilas zone par celle de Pierre Bayle, et Artabax par celle de Christian Rousseau, qui lut aussi la préface d’Agrafes, signée François Huglo. Quelques extraits de lettres de Michel à François furent lus par ce dernier, sous le titre « Valprémy, classique et moderne absolument ». Retour au soleil pour l’apéritif et le repas qui ont prolongé jusqu’à la nuit ce temps fort d’échange et d’amitié autour de Michel.

          Les membres de l’Association qui n’ont pu nous rejoindre peuvent commander Agrafes, au prix de 20 € au lieu de 24, port gratuit.

 

 

 Reportage photos

 

  Lectures

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Exposition de Emmanuel Aragon

8

Agapes

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Photos : Evelyne Briatte

dimanche 24 juillet 2011

Blason du corps mouillé

Michel Valprémy

Blason corps mouill 1 (Electre, fvrier 1986)

Blason corps mouill 2 (LPDA 053, 16 sept 85)

Blason corps mouille 3

LPDA °53 sep. 85 / ELECTRE “Blason du corps mouillé”, février 1986

dimanche 10 juillet 2011

Salomé (Lecture d'une gouache)

Michel Valprémy

(Une vaste miniature. Couleurs : pastels les plus vifs. On hésitera d'abord. Tous ces rinceaux, virgules, arabesques et l'ornement baroque imprécisément détaillé. Il y aura une histoire.)
Au centre, Jean-le Baptiste, en sa tête tranchée, ce visage neuf, de pure glaise, l'œil ouvert, enfantin, — un seul, l'autre caché sous la mèche ondoyante, un bon rhizome — qui prédit encore ce qui EST, simplement. L'effacé illumine .Sur le sommet du crâne s'épanouit la colombe à double bec, une pose de Vierge enrobée de plis bleus«Du cou net un delta de sang clair — au mieux du baptême — se disperse...
Et il joint Salomé aux franges du lourd voile ultime, traîne envolée, de reflets d'améthyste, d'écumes et de cieux, palampore de fines galaxies, pour la nudité ambrée, fraîche d'ans.
Elle a dansé jusqu'à la sueur et toutes liqueurs.
Elle a bondi jusqu'à brûler ses seins enflés.
Elle rampa, son flanc luit de silex.
Elle cache son visage dans le réseau jais d'une chevelure éparse, mais la nuque de tresses et torsades ophidiennes. Elle secoue pour Jean ses boucles comme des fouets.
Elle au dansé jusqu'à la récompense.
Le voile boit le ru rouge, elle s'en écharpe.
(Elle a baisé sa bouche)





Et il joint le Fils de l'Homme fixe en sa cape d'émail rosé, carapace de toute initiation, tunique et suaire imaginés,
de dos
sous 1' ordre des cheveux blonds
face directe
à son calvaire. Toutes ces marches de chocs, de clous; et 1'agenouillade anniversaire des fidèles.
Le Jourdain source d'une bulle de vie décapitée, échappée — l'­air essore le linge impudique.
l'eau lave plus que le pur.
Babylone flambe comme l'Enfer médiéval, l'acre pisé s'empoudre jusqu'à la lune d'argent damasquinée.
Plus de vent, la raideur du temps.


est consommé.
 
03/03/1980 – Inédit









dimanche 26 juin 2011

Le nerf des marguerites

Michel Valprémy

Le nerf des marguerites (LPDA 036, 25 avr 85).jpg
 LPDA n°36, avril 95

dimanche 12 juin 2011

Le Petit laboratoire de Mister H. (extraits)

Michel Valprémy

Mister.H cède à son vice :
Bric à brac, anguille sous roche pois de senteur formol à la pelle miroirs désargentés pistaches à foison ribambelle d’insultes pommettes du dernier émoi une poignée de main cardinale ½ litre de sperme (traites jour à nuit) 2 dimanche avec une mousson de pensées (fleur ou non) un coït sans pommade une pipe à eau garnie (voyez ce que je veux dire) un précis d’articulation avec en première page chichi-castenango et en deuxième rataragama une pincée de sel glacé un chien sans fusil un permis de se déconduire un lèche-cul portatif sourires cataplasme effigies des serpents-cocus à clochettes un pygmée toujours à la bonne hauteur (voyez ce que je veux dire) un dictionnaire vierge de nombreuse absences (on perdit hier la mémoire) un sanglot long quelques incertitudes des concordances atténuantes des retours à l’envoyeur
(…)
 
Moi
Oh les bajoues des mémères ces ruchers de plis gras et la semoule baveuse accumulée aux commissures des lèvres le pépé mouillant sa chique coincée entre deux caries plus tu bouffes plus tu chies t’as vu t’as vu çuici la moustache trempée de vin même le vermicelle on dirait qu’ils le font exprès
moi aussi je les aime aussi comme ça
et moi
Si on comptait les âges différemment (son propre vécu) j’aurais 4 ans et demi moi je remonte carrément aux sources : les couilles de mon père
je disais les adolescents d’Arabie menthent
Un anneau d’or m’attache encore je ne serai jamais tout à fait pèlerin
(…)
 
enfin tu y viens tu lèves l’embargo et aspires avec nous (ça te va bien le rire) sous le pull rouge je culbuterais bien ta peau et poisserais ce ventre tout petit bouda bien mieux que le baiser furtif des fidèles
je ne suis pas ton tire botte de toute façon j’ai perdu la main
paroles de vieil homme ses légendes cutanées même l’incision du pêcheur
euthanasie des plus vieux radars toutes les anfractuosités du silence à picorer ces graines du dernier don (génuflexion pour quémander ton sexe en aumône) je m’enlarve et m’essouffle – fleurs crépues dans les poumons

LPDA n°41, janvier 1985 (extrait 1) ; L'Envers du Rien n°01, avril 1983 (extraits 2 et 3)















dimanche 5 juin 2011

Bitus (suite)

Michel Valprémy


BD 0 (contemporains, oct 91)

BD 2 (LPDA 027, 26 fev 85)

BD 4 (LPDA 041, 3 juin 85)

(LPDA 037, 6 juin 85)


LPDA, février et juin 1985

dimanche 29 mai 2011

Clo, 15 rue M

Michel Valprémy



au sortir d'un vagin opiacé des larmes lilas comme une lapée de crème odeur d'iode et de lourds bégonias friction d'orties de sel de vieilles images pieuses et ta main ongles peints coula rapide au revers de ma glu (je te frottais ma bouche) des seins mille papilles circulent ions pressés sous ma bave limoneuse (rubis sombre de tes tripes) Madame je vous creuse (et ton rire à surprendre le jardinier) tu disais heureuse en ouvrant les colonnes
               ENCORE

Les dossiers d’Aquitaine n°08, novembre 85

dimanche 22 mai 2011

Clown, croque-morts

Michel Valprémy

Clown, croque-morts 1

dimanche 15 mai 2011

Mifa

Michel Valprémy

mifa

Devil Paradis n°16, avril 86

Froide préface

Michel Valprémy

Inconnu célèbre ou célèbre inconnu, l'auteur de ces pages n'apparaît que sous cette dénomination énigmatique : Le Maître du Livre Froid. On a longtemps cherché en vain (personne n'a oublié les crises de démence puis le suicide du premier exégète, M. Z.) à expliquer l'origine de cet adjectif « Froid ». Peut-être faut-il tout simplement, sans trop extrapoler, admettre la correspondance ludique — un jeu quelque peu déroutant — avec cet astérisque sépaloïde couronnant le dernier mot du récit et exigeant impression obligatoire sur papier glacé.
Nous ne chercherons pas ici à résumer les quelques mille ouvrages et articles consacrés à la biographie virtuelle de notre anonyme. Bien que généralement on lui attribue une origine modeste (le collectionneur W. ne permet l'accès à sa précieuse vitrine que le 3 janvier, une fois tous les cinq ans et seulement si la neige est tombée), nous ne possédons de lui qu'un fragment de carte de visite où l'on distingue très nettement quatre lettres majuscules : GLAC, un bouton de caleçon en os, un peigne ébréché en écaille. Ces documents ont été découverts pliés dans un vieux chiffon de laine, avec le manuscrit mystérieusement disparu, dans l'étable de ce M. W. La date de composition n'est pas précisée ou très approximativement (une marge de quarante ans). On a parlé de faux, d'imposture, de plagiat, de palimpseste incompréhensible recopié et corrigé tant bien que mal par le palefrenier du même M. W.
Néanmoins nous avons devant nous une œuvre originale, exceptionnelle à tous égards qui a bouleversé le monde littéraire et artistique de ces dernières années. 85 conférences à Paris et en province, 3 colloques internationaux, 9 débats télévisés, un feuilleton radiophonique pendant 8 semaines, 5 courts métrages, une adaptation élaborée pour la vidéo, une altercation mémorable à la Chambre des Députés. Le Maître fut anobli à titre posthume par Sa Majesté la Reine Elisabeth II et la légende veut qu'un fauteuil reste libre à l'Académie Française au cas bien improbable où l'auteur se révélerait encore de ce monde.
Ce livre très ramassé (10 pages) et concis (21 mots) est traduit en 23 langues et dialectes. Sur les 10 pages une est réservée au titre Chair de poule, une à la dédicace « à moi-même », une à l'exergue signé X : « obscur, tellement obscur qu'on n'y voit goutte », une enfin au développement de l'astérisque. Nul doute que la mise en forme et la symbolique des nombres révéleront peu à peu leurs secrets.
Il serait fastidieux dans cette présentation succincte d'envisager une analyse approfondie du texte proprement dit. Pour ceux qui exigeraient de plus amples renseignements reportez-vous à l'étude en trois volumes de la collection « Le Mystère Nu » dans laquelle un séminaire des meilleurs critiques français et étrangers font le point de la recherche contemporaine sur ce chef-d'œuvre.
Y.
Il est recommandé au lecteur de ne pas parcourir ce livre à la hâte mais de disposer de plusieurs heures ininterrompues afin d'en apprécier l'exquise saveur poétique ainsi que toutes les répercussions philosophiques et ésotériques (particulièrement la page 7, vierge).
 
Publié dans Minuit n°50, septembre 1982







dimanche 1 mai 2011

Kiosque à paroles

Michel Valprémy

kiosque1
Kiosque2

Voix éditions, 2è trim. 2001

lundi 25 avril 2011

L’heure décisive

Michel Valprémy

Heure decisive
LPDA n°41, juin 1985

mardi 12 avril 2011

Triturata

Michel Valprémy et Christophe Petchanatz






1.

Marcher en soi, surjeter les petites blessures (pointu, pointu), avaler sa faim, marcher en soi, la tête au plafond.
Je pousse un corps siamois, si frais, main sur sa nuque, et désigne les endroits qu’il a connus.
Les réverbères font sous eux. Derrière, au plus sourd, au plus secret, des pas, une balade de dernière heure ; c’est le loisir du rat. Qui perd la distance et souffle ? Qui trafique ce pays-là ? On n’a pas vu la clôture, le ciment fissuré, ni le lierre ni le tain tavelé.
L’index bagué, jamais limé, ne creuse plus l’épaule et traverse la joue ; ça sent le dentiste, les lilas pourris, la peau trop sucée.
Alors, je renverse la table, toute, les assiettes, les chiens. Il y a le bruit de l’horloge, des figures de linge derrière la fenêtre serrée ; quelqu'un besogne à l’intérieur des murs.
Le doigt pèse sur le fil du couteau. Je mange seul. Au loin, des souliers vernis déchirent l’échine des loups.
Je m’incline, lèche la bouillie sur mes cuisses, les chiures lactées, grumeleuses. Plus bas, mon sexe est un totem plié. La dent malade crie, trois fois. Je roule dans mon ventre.
Soudain, les lilas décoiffent la lucarne, l’orage petit crépite, pelote d’épingles sur les haies rose spongieux.
Le vieux s’est assoupi ; il dort sans discrétion. Cette fois, derrière les carreaux, l’entassement des visages criards ; la bouche, la bouche surtout.


2.

La mer avance dans un silence palmé ; la mer, les méduses. Du boulevard étranglé les épaves croulent, tranchet, histoires courtes et sérieuses, cinglantes. Moteurs affligés, un passant gobeur de mouches : c’est toujours sa faim que l’homme interroge.
Le nougat a fondu.
Croiser les doigts pour que rien ne s’arrête, limbes en dilution ; toutes lignes coupées, je me penche aux balcons, vos yeux.
Journées pareilles à des charades, salves, guirlandes, falbalas, je suis — tout de travers. L’homme recrache les noisettes, les amandes, se redresse, dénoue les mains. Un phare poursuit l’ombre ; la saison mensongère : il a plu sur les vagues. Et le ciel coud les poches, un poing ouvre mes cuisses, la digue chavirée. Survivre, le drap comme un cocon et les bruits de l’hôtel. Tâtonne à chaque interrupteur, frontières minuscules, destin léger des cloisons que l’on frôle.
En bas, selon les jours, on se rencontre un peu ; quelques pas échangés sur le môle, dignité, cigarettes anglaises.
L’os trahit ; fièvres pelotonnées. Ils astiquent le cuir des blousons de baroud. Un coulis dentifrice éparpille les mots. Nos ventres pouffent et fondent.
— À l’abordage, dis-tu ? C’est question de chance, paumes des vierges — si maigres — pressées aux hublots de l’escale. Bleus. Luxe serait mourir ensemble, impassiblement.


3.

La lune couve le lit, c’est la blancheur connue. La porte du frigo se referme en silence. Un félin très docile lape, et la peau, et le lait. Alors, sous la paupière, la petite lueur commence sa tangence. L’homme raconte un synopsis frangé : le fiel des soirées indécises, l’attente sans objet, le moût de la caresse, le vernis d’autres doigts sur la tête d’un mort. Il ajoute les ongles au désir, sans frais, pour colorier l’image, un corps de baves rouges.
Dehors, les cobras se dédoublent et muent (douleur aux quatre coins). Puis, le hasard troue la porte — la hulotte, un cancrelat, le myosis du chat. Appels de croupe ou d’acné, de viande froide. Dans l’ombre du matin, inamovible, tout hérissée de griffes comme feuilles de massette, l’homme peine, voit venir. Il tire la langue, les mouches collent leurs œufs. Un brindisi fameux monte de la cour, déchire le cristal.
Avec la poussière du plâtre, la salive, des rognures choisies, il façonne un gri-gri d’allégeance et rêve d’une figue, du sérail éventré.
Dandy, parfume ton cul, réglisse et mimosa !
Très mol, il jouit, un jus sans épaisseur. La lumière est un zèbre immobile, harmonies de catgut. Le mica coupe l’œil. L’homme miaule.


4.

Et ça siffle, si moite, la rampe des chaudières, sillages occultés — sur le miroir de poche, narines. Croquemitaines en vitrines, ton minois par erreur y chercher. Bajoues sur l’étagère, et les chiffons grand teint : la prunelle fait son galop. « Cousu main », une histoire réversible.
Sueur, tu grimaces (ton talon dans la grille ?). Ainsi, hennir aux losanges du ciel ; bien sûr, la clôture. Retrouver dans les touffes épaisses des jouets, des coquillages, gélules des enfers au travail de l’ivoire, les sphères accolées, l’étiquette jaunie. Il y aura, là, l’escalier de nos ruses ; cachette, entre l’étole d’astrakan et la soie floche les allergies remuent. Le jeu du crucifié dans la soupente fauve. Peindre le sang ; cela fait mal après le fouet, le juste — et les épines. Alors, et malgré les vieillards épieurs, démonter l’échafaud, battre et chasser la poussière, croûtelettes de noir — ils ont payé en caprices voûtés, toussant, crachant autour de l’orifice. Moloch, une voix les retient.


5.

Je respire ton rhume. Tu batailles, joue mordue ; claquent les ligaments de nos cous. Les héros se changent en hyènes, les féroces, en busards.
C’est une sombre histoire : le comptoir spongieux, les dés au tapis, l’arête sur la cendre. Le jus rouille dans un verre taché d’empreintes, aphtes, dartres, doigts mécaniciens. Ils récapitulent les alphabets, un jargon routard, perdent leur temps, reluquent. « Tempo ! » grésille une voix ; bruit de chasse d’eau, targette, l’homme revient, reboutonne, rote. À peine plus tard, une serveuse.
Elle, lasse du jingle fluo. Le rouge de ses lèvres bague la viande des tarzans. Payée pour ! Sautent bouchons, la loterie des bulles.
Il y a des ivresses, trognes aubergine, ce tourment qui bouscule les tables — malgré le plomb des corps — bancs et fieffés candélabres aux usages muqueux. Les avatars musclés, la main captive des braguettes, l’explosion des matrices. Bestioles à chaque pouce empalées crissent sur le zinc.
Avec la pluie, les cuissardes du patron. Un hobereau vautré ronfle dans le fauteuil chippendale ; les femmes répudiées errent, frottent leurs hanches saillantes, croupes et mamelles, à la pique des soudards.
Et toujours, dans le recoin connu, quand le silence blouse, l’ongle sur le plâtre.
Fatigués ; ma chicorée, coquelicot dans ta tresse, au bout.


6.

Cruelles, les pattes, les mandibules… Un branle-bas sous le vernis. L’océan fouille les oreilles : ça coule marron aux commissures. La dame empeste.
Dessous les saules, les jonques miniatures, marmots endimanchés avec quelque part dans le corps une pelote de crin et d’hameçons mêlés. Des ombrelles, plus loin, s’ouvrent et se referment sans raison. Les rires sous le gant, trois bateaux de prairie, de ciels très lisses, chahutent. Parfois, comme l’aspic, un cordeau prend le large. Le désespoir colle aux cils de la petite ; jusqu’au naufrage.
Le couchant calque les joues trop poudrées. Les nourrices. Révérences. La dame s’incline, le genou craque avec l’insecte (mygale tapie sous la soie). Alors, dans l’herbe frissonnante, les frasques invisibles, rubans chus du sac à ouvrage et pelletées d’humus ; on emplit pesamment le fossé, ton visage très blanc, la haie de ronces et de baies violettes. Son bras qui pend de la chaise longue. Les navires trempés touchent le fond. Le fichu glisse, et le châle. Une fillette égarée rit, lèche ses lacets au bord du bassin rétréci. Le menton de la dame tremblote dans le col brodé, une feuille brune frôle la tempe. Un seul jour, néanmoins.


7.

Dans les marais en fièvre, les guéridons de fer. Au pied du pylône, les grands guerriers ne distinguent plus que l’ombre tremblée du fuyard. Des sifflements derrière ; les cris ; la tribu salive. Enfoncé jusqu’aux reins dans la fange et le moût, l’orpailleur avale les pépites. C’est bientôt l’heure des feux, des lourds filets. Courir, hésiter entre la morsure du gel et la meute qui traîne son brouillard ; courir sans faire mousser l’eau, la moire trompeuse, sans claquer des dents ; courir, serrer le cul, refouler la chiasse, le butin.

S’offrir un plongeon sous les guirlandes défraîchies du hangar. Il y a, sur l’estrade, des corps en mouvement, le guinche des guêpières. Essuyer les petits caillots jaunes, tendre les doigts, roides, sans gâchette. Le lamé frangé des tangos, les rails des bas couture. Des pouffiasses, poignets tatoués, sentent l’auge et le foin. Le fugitif carambole les chaperons. L’estomac distille l’ammoniaque, le mégot froid, la fortune. Trois pas en avant…


8.

Aussi la sourde anatomie, lâches défigurements, l’asthme, la couperose. Ils se nouent l’un à l’autre avec des airs, roulent des miettes, encombrent le passage. Le soir, au château, les vestales s’enferment dans les penderies, hument les paletots, attendent le bretteur —abricots mâchurés. Le maître taille sa barbe, essuie le sang du plastron… Et les dépouilles sur les tables, sauces, farine (les langues au chicot) ; ces vieux cuirs serviles. La lumière, enfin, les étrenne. Et ils aboient, massifs, enracinés dans la tourmente. Ils aboient sans relâche, sans passion ; d’une façon catégorique. Les bourrasques mènent leurs cargaisons fourbues, les roulettes, les pèlerins qui se protègent de la pluie avec des carrés de toile tenus à bout de bras. Sargasses.
Pleure, princesse, le désert gagne, ta ceinture a rouillé. Il y a des tombes très rudes sur les chemins du sud. Les bannières éteignent le ciel et le sable creuse les dents des héros. Mais cependant le rut aux cuisines culmine. La pâte est prise : on peut servir, Madame.


9.

Tout près, les baquets déjetés où le linge se tasse, loques de carne et brou de noix. Sous le sureau, les visages léchés, les grappes noirâtres, le suc des poignets dans la nasse. Aussi, au loin, la gigue des badernes, le spectre des pouliches écumeuses ; crinières fouettent la brume. En terre meuble, l’étrave dérange les os. Derrière le terril, le fric-frac des salives, l’étreinte des orvets. Partir à vau-l’eau, jamais ? Trois barques chavirées ; au bout des gaules, les noyés, gonflés, bleu d’encre. Culotte courte craque, les paumes encrassent le coton.
L’enfant petit, l’orphelin de juillet, découpe des fenêtres dans la panse des morts. Il joue à Triturata, au boudin à vent, tranche pouces et orteils pour le troc des jeudis futurs. Les roseaux, les coquilles, lèvres fendues ; baisers.


10.

Les chapons. Des filles sans malice le désignent du menton en s’essuyant les mains. Il est criblé de taches, de pointes lumineuses ; tout son corps lui échappe, a des gestes nigauds — et ce bouillon épais, brunâtre, qui déborde les yeux, le pille, escamote la gorge… Il n’a pas tout à fait le sérieux requis ; les boules de coton gonflent ses joues. Il va pleurer aussi. Les lampions coulent, la cire brûle le front des badauds. Une averse de grêle meurtrit les seins des matrones, trempe les bouffettes, les bérets. Sur l’estrade, le nain, enfin, délace sa braguette, la coque rouge. Dans la morosité et le café tiédi, dans les éclairs timides et laiteux, l’adolescent ose toucher l’épaule de son frère. Ils regardent le gnome, muet, grotesque ; la chèvre qu’on amène. Même les ivrognes font silence. Alors, quand le nabot s’enfonce dans la bête, muette, consentante, une habituée des foules, le jeune homme craintif, sans bégayer, dit :
— Messieurs, à mon tour !


Le Magazine de l'Homme moderne (internet), vers 1990...

lundi 11 avril 2011

Loin

Michel Valprémy

image

Quel silence, enfin, intra-muros, à trois cloisons du
premier homme, à trois cloisons du bris des porcelaines, du tintouin des casseroles - un tel sabbat pour une soupe-minute! -, loin, loin des musiques indiennes, du tam-tam vaudou, loin du marteau et de l'enclume, du clou rivant le cercueil de nos anciens à bout de souffle, le cercueil des athlètes en maillot rosé, décharnés, rabougris, rétrécis du printemps au printemps, loin des rats crucifiés, des moutards fouettés pas pour rire, loin, loin, loin de la crécelle des ondes publiques, du babil des stars à une branche (j' te racont' pas - s'ils disaient vrai), loin des missels terroristes, croc pour croc, loin des jeux de cordes et de mitraille, de la rancune pierreuse du bon mari de naguère, à deux étages du dernier crève-la-faim (le clan est complet), à deux rues du bizness café-trottoir, cinq d'un amour frileux qui me fit confondre une fois encore la fourrure et le sel, loin des porches, des parvis, des brocantes sacrées et profanes, loin des musées sans poussière, sans chair ni diablerie, ailleurs, en repli, en deçà du nombre, au secret, au repos, loin de la lumière miraculeuse - jour et nuit - des marronniers de mars.
 
Et quel repos, là, sous les paupières, sous la peau de
l'œil, sur cet écran frontal, demi-lune tantôt bleue, tantôt rousse, tantôt paille de fer, quel repos en ce pays, en cette lande ondoyante (à peine), moirée (presque pas), en ce cosmos petit où s'incrustait, décalqué blanc sur blanc, le rectangle d'une fenêtre d'été ouverte à deux battants, où se dissipait dans un gris uniforme le brouillard des chagrins vendus aux encoignures, où le plaisir, Madame, oui, coulait sa liqueur d'orange, ses braises en limaille, où s'éveille parfois le souvenir d'une sieste spéciale - la première dans le camp des faneurs les plus costauds du monde -, un sommeil pour du beurre à l'ombre d'un béret.
Ici-bas, donc, dans l'obscurité de la chambre, juste avant les pulsations du rêve (à Séville trois éventails très-chrétiens lâchèrent des taureaux, des pivoines et des naines poudrées au pied d'un reposoir), juste avant l'embaumement du sommeil (anesthésie brutale ou philtre cotonneux), avant le dépli des fatigues, j'habite des cabanes que j'inventais quand je les habitais.
 
Reste à dormir debout, sourd,
sonneur, souche, plomb, bébé, loir, comme tout ça, comme après la mort d'Elle & Lui, après la noyade, après l'hôpital, chambre 231 (j'deviens foll' p'tit, foll', la douleur me quitt' pus), chambre 37, ma main vive dans la sienne morte avant l'heure (me r'fair' la c'ris', huit jours, me r'fair' la c'ris), chambre 24 où le corps rote et pète sans trop le vouloir (s'cus', c'est Navarone, c'est l'ouverture 1812), chambre 18 (jet? mes dents, j'te prie, j'te prie, jett'-les, après), dormir loin du dormeur (trop tard, trop mangé, h.s., pas l'envie), loin du ronfleur, de l'asmathique, de l'allergique, loin du bébé baveur et hurleur, loin du chien moribond, dormir, meunier, dormir, belle au bois, dormir, poupée dormeuse, chambre x, chambre froide, inconnu au moulin.
 
Il est nuit, il fait nuit, il se fait nuit bonnes gens d'ici,
d'ailleurs et de partout, nuit profonde, épaisse, épaisse, quel moka! quel civet! Des parpaings de suie ; l'oreille, seule, les traverse et fouille dans le marc ; revanche des bruits perdus, des bruits perdus du jour (la lumière de midi palpable, nourrissante, brûle les sons, les mélange en sa sueur, en son jus d'ambre chaud - ô mon insecte piquetant la pelure du ciel!) ; nuit noire, trop-plein d'embuscades, de miroirs aveugles ; quelle est la main et l'ombre qui me trouent, me réjouissent, me défigurent? Si c'était le dernier mystère, un carbone vierge épingle dans la chambre obscure, dans la cabane close, dans l'écurie, cible sans marge, sans lisière ; et cracher dessus. Nuit claire, più chiara del giorno, en arêtes, en squelettes - l'espion se démasque et salue les fontaines -, nuit de douceur ruisselante - le givre, même -, qui invente la transparence du vitrail, des lacrymatoires, des fioles médicinales et des flacons d'agate où le sage chinois emprisonne les brouillards des cimes et des vais, nuit pour les amants extasiés aux yeux toujours ouverts, nuit d'Iseult, de Didon, nuit bleu nuit, nuit d'Idumée, nuit d'une unique nuit.
 
Quel ennui, soudain, entre les draps, dans la grotte tiède
peinte par les hommes de l'art neuf, quel ennui, chaque nuit, sous le plafond crispé, à tondre les moutons, à les égorger, les étriper, à clumer dans son coude, à compter sur ses doigts (sept, douze, mille tre), quel ennui dans ce parking désert, dans cette rue obscure, cette voie de garage, en ces impasses gigognes où je recule, où j'agonise pépère, en pure perte, loin des rats et des taons, loin du caquetage des mamies bucoliques, loin des gares et des quais, loin, loin des halls cannibales, des blagues de comptoir (ici Radio Moquette!), si loin d'une main tendue, d'un coup d'épaule, loin, loin, trop loin mon amour du boucan de ta panse.
 
Nuit bleu nuit (extraits)
 
"Est limaille en frisons, petit plomb, impression soleil crevé"
Michel Valprémy
 
Supplément à Bulle n°9 Mars 1996 - ISSN 1259-928X Christian Dégoutte Au Bourg 42260 Bully