dimanche 26 décembre 2010
Prions
où aller ce soir en ce mystère
à vous de donner le sens des flots
ces pivoines douces balises
ces rochers de chairs cassée
je m’allonge oint du dernier givre (les castes fondues, le tango des moteurs) sur le tapis de paille
comme dessin rupestre je me borde
le temps immobile pointille (on décalque, muet)
la voix glisse, j’obéis, acquis
Cassiopée n°04, 1er trimestre 1984
dimanche 12 décembre 2010
dimanche 28 novembre 2010
Transcription/Exposition de deux pages manuscrites du Journal de Michel Valprémy, par Emmanuel Aragon
Pour l'exposition collective Hors de nous, à l'espace29 - Bordeaux, du 25 novembre au 18 décembre 2010, chaque artiste invite un autre artiste, invente un dialogue entre deux œuvres.
(travail en cours)
Présentation de Emmanuel Aragon :
“ J'ai découvert il y a peu l'écriture manuscrite du journal de Michel Valprémy, écrivain, poète et danseur. Au premier regard sa graphie donne l'impression d'une langue étrangère, d'où émergent seulement quelques mots lisibles. Sa minutie est fascinante, le soin de la mise en page, de quelques minuscules collages de feuilles sèches ou de fragments de papiers déchirés de part et d'autre.
Elle m'a parlé immédiatement de l'invention d'une écriture par le corps, de la place que je cherche pour la respiration, la retenue et l'énergie, la venue des mots avec la main.
J'ai ensuite appris au moment d'emprunter quelques pages de ce texte pour l'exposition, quelques histoires sur leur nature. La disparition de Michel Valprémy en 2007, et la place de ce journal, tenu quasi secrètement depuis plusieurs dizaines d'années.
Puis vient le moment d'apprendre à le lire, comprendre les incroyables a, s, g, les l et t souvent identiques, les r et n aussi, les e parfois invisibles… Je lis de plus en plus facilement, certains mots résistent plusieurs jours, mais le texte s'offre, apaisé, d'une langue à la fois raffinée, acérée et intime. S'y croisent (dans les pages exposées, de juillet et août 2007), des notes de mémoire sur sa résistance physique, sur ses rencontres personnelles et d'écrivain, sur ses émotions de spectateur, d'ami.
J'essaie de continuer sur la table et sur le mur mon travail d'écriture de voix, de trouver une lisibilité et une discrétion à la fois pour ce texte qui ne m'appartient pas. “
> à voir : http://emmanuelaragon.canalblog.com
lundi 22 novembre 2010
dimanche 14 novembre 2010
Michel Valprémy, une Chronologie. 1è partie : 1947 - 1991
par Joëlle et Pierre D. (1)
1947
Naissance le 3 juin 1947, à Tocane-Saint-Apre (Dordogne), de Michel, Angel, François Valprémy, fils d'Abel Valprémy et de Ginette Dumîas, tous les deux fonctionnaires des P.T.T. Un frère aîné, Pierre, Roger, Arnaud, a vu le jour le 7 Mai 1946, le benjamin, Jacques, André, naîtra le 9 octobre 1949. L'été 47 fut particulièrement chaud.
1950
Pour le Noël des P.T.T., son père lui offre de la pâte à modeler ; ses frères reçoivent chacun une locomotive.
Sa toute petite enfance est heureuse. Ses parents habitent Périgueux, mais les dimanches, les jours fériés, les petites et grandes vacances se passent dans la campagne du Ribéracois, le plus souvent chez ses grands-parents paternels, Angel et Marie, dite Texille. "Imagine — et je n'invente rien — ce petit village, Douchapt, une centaine d'habitants, où, chaque jour, je côtoyais des pupilles de l’Assistance, des réfugiés polonais, espagnols, des demi-fous (dont un conteur salace), un nain, une sourde-muette, une bossue, des sourciers, des sorciers, une femme au mauvais œil, un curé alcoolique... Je les côtoyais, je les aimais. Imagine la vieille ferme, le tas de fumier devant la porte, les cabinets de l'autre côté de la route, imagine les granges pleines d'odeurs, les remises, les écuries, les labours, les vendanges, les oies que l'on gardait au soleil couchant..." {Lettre à Joëlle D.). Il vouera un amour sans faille à sa grand-mère Texille, la Reine des guêpes, qui décédera nonagénaire en 1979. Dans sa bourgade natale vivent les grands-parents maternels. Siméon Dumias est couvreur-plombier-zingueur ; sa femme, Germaine, couturière, tient aussi boutique de quincaillerie où les clous, les vis, les boulons voisinent avec les coupes et les vases en faux vénitien. Une grand-tante du côté maternel, Berthe, avait épousé André Savignon, voyageur, journaliste, homme de lettres, prix Goncourt 1912 (Filles de la pluie).
Opération d'un phimosis (fimo quoi?). Le bistouri, le pus, le sang le chassent du paradis(2). "Chaque minute, j'inventerai de nouvelles combines pour que personne ne s'aperçoive du malheur" écrira-t-il dans le second Maïs.
1955
II apprend la danse classique avec Pierre Chatel, jeune danseur de l'Opéra de Paris paralysé par la sclérose en plaques. "Il était beau, extrêmement sévère pendant les leçons... Je me souviens de son odeur d'urine et de tabac froid. J'aimais cette odeur, elle m'écœurait." (Journal). Il se passionne aussi pour la musique, pour l'opéra et voit sa première Dame aux camélias qui restera son héroïne de prédilection.
1958
Obésité ; "transformé d'un seul coup, d'un seul, en montgolfière géante." On le surnomme Bouboule, plus rarement Grasalard. Dégoût du corps. "Il vivait tout habillé de noir, dans une chambre aux volets fermés et sale comme un peigne", raconte sa mère. Passable et médiocre sont les deux' pôles de sa scolarité. Il ne danse plus, n'écrit pas, ne lit pas. La musique toujours l'accompagne.
1965
II commence à tenir un journal, à écrire des poèmes, de court récits qui furent, pour la plus grande part, détruits. Guérison. Crise mystique. Lectures d'ouvrages ésotériques.
1967
Premier séjour en Italie, à Florence et Venise, "un éblouissement". Il y retournera fréquemment par la suite. Il n'a pas l'âme d'un grand voyageur. Il se rendra par trois fois au Maroc, à Tanger où vit son frère aîné et sa famille (voir Balek et Flashes). Il visitera l'Espagne, l'Egypte, la Hollande.
1968
Il habite Bordeaux et "suit" les cours de la Faculté de Lettres (section Lettres Modernes). Période de grande libération personnelle. "Dès que je quittais l'obscurité de ma chambre, mon enthousiasme intérieur était tel que j'admirais sans plus de réserve les effets de ce qu'il était convenu d'appeler le progrès tout aussi bien que les dogmes du vieux monde." (texte inédit). Il avoue avoir participé aux manifestations de mai "comme en queue de cortège", et jugé que "le meilleur du temps se vivait sur les pelouses".
1971
Le 25 juillet, son père se noie auprès de(3) lui sur la plage d'Hossegor. "Le jour était si clair qu'il tremblait."
Il termine son mémoire de Maîtrise : Gide et la peinture.
1972
II entre dans le corps de ballet du Grand-Théâtre de Bordeaux. Il y restera jusqu'en 1984. L'impossible rêve ne l'est plus. Il travaillera avec les artistes mythiques de son enfance : Wladimir Skouratoff, Yvette Chauviré, Colette Marchand, Jean Babilée, Serge Lifar. La famille du théâtre, "vacharde" et chaleureuse, lui ouvre de nouveaux horizons, ceux de la fête, de la vie nocturne et interlope.
1975
II achète avec Claude Martin une ancienne bâtisse du Libournais, au lieu-dit Robin, qui deviendra un rendez-vous d'artistes.
1981
Premières publications dans Apostrophe Magazine (Mathias Lair) et Minuit (Mathieu Lindon).
1982
Le 30 octobre, dans les caves de la Galerie du Fleuve, il participe, le corps peint par l'artiste, à un rituel, Scarification, de Jean-Philippe Thomasson, avec les saxophonistes Daniel Kientzy et Eric Tallet qui jouent une composition de Marc Tallet.
1983
II découvre l'œuvre de Luc Lauras. Son admiration ne fléchira pas. Grâce à des rencontres décisives, Katia Feijoo d'abord, puis Sylvie Couderc, il se passionne pour la peinture contemporaine.
1984
Didier Moulinier l'invite à participer à l'aventure de Chats Avalanches et de La Poire d'Angoisse. Il réalise ses premiers dessins et collages dont les fameux bittus(4) , petits personnages étiques et farceurs.
Il enseigne la danse classique.
1985-1989
Nombreuses publications. Il participe aux rencontres organisées par Alain Gibertie, Didier Moulinier, Françoise Favretto et Robert Variez, Dan et Guy Ferdinande. Il se lie d'amitié avec Christine et Thierry Dessolas, avec Jean-Pierre Bobillot et Sylvie Nève qui seront ses premiers lecteurs publics (La Reine des guêpes, les Amis de M25, Saint-Quentin-de-Caplong, été 1986). Bob & Nèv créeront, à Robin, leur Orlando Moroso, le 23 juillet 1988 et signeront la préface de Rose, Raoul et Courte-Queue (Editions Deleatur).
1991
II s'intéresse à l'archéologie de la préhistoire, "un but aux promenades". Le 3 juillet, à Robin, Jean-Pierre Bobillot dit : "Michel Valprémy, deux points, écrivain archaïque".
*
(1) Cette chronologie parue dans les Morceaux choisis de M. V. (Les contemporains, 1991) ont été rédigée par Joëlle et Pierre D., amis de l'auteur, pendant l'été 1991.
(2) Sic. (Note de l'auteur).
(3) "auprès de" remplace "avec" désormais, depuis une remarque judicieuse et bénéfique de Sylvie Nève.
(4) Dénomination due à Christophe Petchanatz, qui ajoutait : "Je mets deux t à bitte, parce que ça fait plus poignant." Ces personnages disparaîtront avec La Poire d'Angoisse.
dimanche 31 octobre 2010
Diableries. Poème du jour n°60
1.Puis je lave l’intruse, à mains nues, du genou au palais. Mon œil savant, mes cisailles décousent l’habit de noce (cygne et soie, cretonne pour l’envol) ; et le marteau sacré, l’outil choyé, sent la poudre et le lin. Reste un fantôme sous la toise.2.Mon ombre gît contre l’horloge, mon ombre dans l’ombre secoue ses billes, son avoine. Mon ombre fait la pluie qui dévore et ma couche où la bruyère m’enterre. « Mange ton poing ! » Les cavaliers errants fendent la bise, poitrail fumant, sexe de pierre. Mes couleurs sont louve et violette. Ma fenêtre ? un tilleul. Mon désir ? chair à chair, le bastion. J’invente sur le pouce des grelots de fortune, des gris-gris presque vifs. Ici crapauds, jonquilles ont le même âge, la même étoffe. J’épelle des noms impies, des noms de l’outremonde. Rentrent au bercail fier loustic et vierge pleins.3.J’ai la potion pour intimer l’attente. Sauvage est ma bouillie, bienheureux le blasphème. Je lis dans le miel mou, dans la cervelle des noix, dans le sable crispé des pisseuses. Mes longs drapeaux n’appellent qu’épouvantails, que goules acharnées. Demain la misaine, la friction des amphores ! Demain ! Chaste sera la nuit, une et une, tendue, un roc.4.Fioles de filles, diableries, corset, cornette, babouches d’ambre, « qui s’y frotte se tue ! » Et la peinture, la miniature : croisée, hautes tours, rixes roses à califourchon. Le fiancé mort meurt chaque nuit. Blanche cavale couche au tombeau.
dimanche 17 octobre 2010
dimanche 10 octobre 2010
Un masque, un miroir
dimanche 26 septembre 2010
Et la bouche
Fronton du passé
lundi 13 septembre 2010
dimanche 29 août 2010
Le loin du monde (trio)
dimanche 15 août 2010
Autour du Journal de Michel Valprémy et de ses Lettres à Michel Sauquet
Par François Huglo
Lecture à Robin le 1er août à l’occasion de la 3è Rencontre des Amis de Michel Valpémy
Le Journal et la correspondance de Michel Valprémy sont des vases communicants. Dans le Journal, des signes manuscrits représentant une enveloppe ou un combiné précèdent les résumés ou les extraits de lettres ou d’entretiens téléphoniques. Mais dans la correspondance de Michel, il n’y a pas épanchement narcissique ; l’attention à l’autre, le don, risquent de provoquer la dissémination, l’éparpillement, et le journal cherche à faire bloc, à recentrer, à reconstituer.
Ce goût pour la correspondance et ce recours, ce retour au Journal comme à un sédiment, sont soulignés dès le début de l’entretien de Michel avec Christophe Petchanatz, publié dans Le Dépli amoureux en mai 1989 et repris dans la monographie éditée dans la collection Les contemporains favoris en 1991 :
« En revanche, dès l’âge de dix-huit ans, je pris goût à la correspondance. Le dessin, sans doute, me permit de m’épancher avec un soupçon de singularité ; mais c’est dans la manie des catalogues, des listes, des répertoires circonstanciés, manie qui soulignait une tendance à collectionner tout et n’importe quoi ― petits trésors ― que je peux reconnaître aujourd’hui l’embryon d’une écriture.
Comment ?
Il y eut d’abord un Carnet du désir où je réunissais les passages érotiques des livres qu’on me prêtait (Miller, Tropique du Capricorne) et une sorte de catalogue exhaustif de mes lectures que je résumais avec soin (nombreux ouvrages sur les religions, l’ésotérisme). Puis les deux cahiers se mêlèrent, les commentaires s’étoffèrent. En 65, mon Journal ne contenait plus les scènes licencieuses ; les notes de lecture (sans condensés), les observations personnelles sur la vie quotidienne, la famille, les rencontres, l’amour alternaient avec les premiers poèmes, les premières fictions brèves. Il s’agissait de faire bloc, un ensemble compact, loin de tout éparpillement. Je n’ai jamais cessé de tenir un Journal qui a perdu sa forme monolithique, mais n’en demeure pas moins le sédiment de mon travail.
Pourquoi ?
Il doit bien y avoir une raison, ou plusieurs ; un point de départ, ou plusieurs. Je dirais tout de go : écrire pour me reconstituer un corps. »
On retrouve cette crainte de la dissémination et ce désir de faire bloc, de faire corps, dans deux lettres récentes à Michel Sauquet. Versant inquiétude, Michel Valprémy lui écrivait le 30 avril 2005 :
« Est-ce en effet l’heure des bilans ? Je ne le crois pas, j’ai toujours en moi ce désir de recommencement. J’écrivais il y a peu dans mon Journal que je me sentais « capable du meilleur, du meilleur encore ». Je ne suis pas dans le renoncement. Mais il serait formidablement prétentieux d’affirmer que « j’ai bâti ma ville », comme l’écrit Gide à la fin de son Thésée. Je ne crois pas avoir fait une œuvre ; je ne vois dans mon travail d’écrivain que fragmentation. Est-ce à moi de juger ? Est-ce à nous ? ».
Versant cohérence, relativement plus rassurante ou consolante, il lui écrivait le 30 octobre 2006 :
« J’ai terminé Lilas-Zone la semaine passée, je l’ai envoyé à Françoise Favretto. J’attends son verdict. En même temps, j’ai corrigé deux jeux d’épreuves de Cédille au çiel. Je crois que le livre, l’objet, sera de bonne qualité. La sortie est prévue courant novembre. Je dois maintenant poursuivre et achever la saisie de Cache-cache vinaigre, qui est un gros « morceau ». Ces activités croisées m’ont laissé une curieuse impression de ressassement. On a beau dire que je suis très divers, il me semble que je creuse, fouille toujours au même endroit ».
Dans cette image de fouilles archéologiques, ne retrouve-t-on pas la ville dont parlait Gide à la fin de son Thésée, « j’ai bâti ma ville » ? Bâti ou reconstitué, comme se reconstitue un corps, dans les écrits divers et dans le Journal, ou comme la boue empâte, agglutine et conserve les vestiges d’une ville (Michel aime la boue, sympathise avec le chien qui s’y roule). Journal pour après, de même que Corbière a écrit des « rondels pour après » ? En attendant, la ville pousse, toute à son « désir de recommencement ». Citons la suite de la lettre du 30 octobre 2006 à Michel Sauquet :
« J’ai commencé un autre « opus » comme tu dis, des textes courts en prose qui feront apparaître des personnages aux occupations étranges ; deux noms sont tombés du ciel, La Salpêtreuse et Le Couve-Oronge. Tu vois, pas de chômage. Je ne sais pas ce qu’est l’oisiveté. En outre, j’ai accepté d’aller parler d’Izoard à Arras en avril. Côté lecture, j’ai acheté et lu L’apprenti sorcier d’Augiéras qui ne m’a pas convaincu et Retour de barbarie de Raymond Guérin ; ici aussi je suis sur la réserve. Mais je viens de recevoir deux énormes volumes de la Correspondance Gide/Rouart. Qui parle de vacances ? ».
Journal et correspondance apparaissent comme complémentaires : force centrifuge et force centripète. Pour l’un et pour l’autre se pose la même question : faut-il publier ? Le 30 août 2004, Michel m’écrivait :
« J’ai repensé à ce projet d’édition des lettres de Rousselot ; je crois vraiment qu’il faut le mener à bien. Il me semble que l’homme n’eût pas été hostile à cette idée. Et peut-être en est-il de même de son Journal. Là, il faut se méfier malgré tout de l’intervention de la famille, de l’obsession du tri qui devient vite du caviardage. Il faut savoir ce qu’Anne-Marie va conserver, ce qu’elle va confier à la B.N. Rousselot a souhaité plusieurs fois détruire son Journal. Peu importe en vérité, il ne l’a pas fait. En ce qui me concerne, je sais que je ne détruirai pas le mien qui est sans doute moins littéraire que le sien (les extraits que j’ai lus, extraits choisis, me le font croire) ; il a occupé une trop grande place dans ma vie. Il est sûr cependant que je ne publierai rien de mon vivant. Après moi, vogue le radeau ».
Ces derniers mots me rappellent la fin des Poètes de sept ans : « (…) et pressentant violemment la voile ». Je ne peux relire ce poème sans penser à Michel, à cause de la pitié, des « pitiés immondes », et de la rumeur :
« Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
―Tandis que se faisait la rumeur du quartier ».
Avec ou sans voile, ce radeau qui vogue plaide pour l’aventure de la publication (autre métaphore possible : une bouteille à la mer).
Autre argument, l’exemple ou, du moins, la référence, que le Journal de Gide, évidemment destiné à la publication, n’a cessé de représenter pour Michel, dont l’admiration n’a jamais interdit la critique. Citons le Journal de Valprémy, à propos du Journal de Gide :
« 1980 Jeudi 27 août. Robin 7. Journée d’hier à Bordeaux. Terminé d’André Gide la relecture du Journal (Pléïade. 1939-1949). Je reviens un peu sur mon impression première, celle d’un dévot. Gide est un littérateur jusqu’auboutiste. On aurait parfois envie que quelqu’autre travail l’occupât. Son besoin de cohérence, de paraître cohérent, l’oblige à des contorsions, des afféteries et coquetteries qui se doublent d’une humeur grincheuse dans les dernières années, peut-être une résurgence de l’enfance « rechignée ». Plus grave et décevante me semble sa conception élitiste de l’art, de l’esthétique (évidente il est vrai), dans ses projections sur la vie quotidienne. Je le montrerai plus loin. Il est sûr cependant que cette expérience introspective est incomparable et que, en souvenir des élans et émotions qu’elle engendra chez moi, j’y resterai fidèlement attaché. Je regrette maintenant de m’être tant hâté, nécessairement, à écrire mon mémoire « Gide et la peinture ». Quelles lacunes ! Quel manque de rigueur ! Quelques notes. Après la défaite de 1940 que Gide attribue en grande partie aux défauts de l’esprit français, il semble souhaiter l’installation d’une dictature où l’on pourrait « penser et (…) aimer librement », précisément ce que refusent les dictatures. « Si, demain (…) toute liberté de pensée ou du moins d’expression de cette pensée, nous est refusée, je tâcherai de me persuader que l’art, que la pensée même, y perdront moins que dans une liberté excessive. L’oppression ne peut avilir les meilleurs ; et quant aux autres, peu importe. Vive la pensée comprimée ! Le monde ne peut être sauvé que par quelques-uns. C’est aux époques non libérales que l’esprit libre atteint à la plus haute vertu ». Voici qui est dangereux, inadmissible. Il se place du bon côté de la barrière parmi ceux qui sauvent comme ces camarades lycéens qui se targuaient de royalisme sans envisager d’autres situations pour eux-mêmes qu’auprès du monarque. Dans une telle oppression encore faudrait-il que l’esprit soit libre ; son premier champ d’action, en admettant qu’il ne soit pas muselé, devrait alors être de secouer le joug et de se battre pour la liberté d’expression. Ce qu’il affirmera enfin en 1945 au sujet de l’U.R.S.S. Autre réflexion qui me fit inscrire en marge : « scandaleux ! » Gide écrit après un bombardement en Tunisie : « (…) une foule de pauvres gens, à laquelle je me suis mêlé quelques temps, cherchant en vain quelque visage où poser volontiers le regard. Rien que des êtres tarés, déchus, disgraciés, misérables, laids à décourager la pitié ». Ces remarques ne sont pas isolées mais répétées à plusieurs reprises. Amusant : « Trois genres littéraires me sont insupportables: le Garibaldi (…), le genre Mousquetaire, et le genre « Caramba ! ».
Si le Journal de Michel s’aiguise à celui de Gide sans épargner son modèle, il ne n’épargne pas lui-même dans une correspondance toute de disponibilité à ses amis, où il semble se découvrir, apprendre qui il est.
Michel Sauquet nous a confié quelques extraits d’une correspondance échangée avec Michel Valprémy de mai 1992 à juillet 2007, témoignage d’une « délicatesse », d’une « attention », d’une « fidélité », qui « ne faibliront jamais ». Quelques bribes permettent de saisir en quoi cet échange, pour chacun des deux, a pu ressembler à une maïeutique. La correspondance ne serait donc pas seulement dissémination, mais déjà tentative de recentrement, ébauche du Journal.
15-05-1992
« La lignée que vous voulez bien m’accorder me satisfait dans ses racines ; je parle de Rabelais. Sade m’ennuie souvent et je connais mal Jarry (mais Bobillot vient de m’en dire le plus grand bien). Je suis toujours heureux d’être considéré comme un « moderne », car j’ai tendance à ne voir en moi qu’un auteur désuet, très appliqué, légèrement précieux, jusque dans sa porcherie. Quant au « silence éditorial », certes on peut s’en plaindre, mais j’y gagne en tranquillité, en bonne surprise ; et votre lettre, sincèrement, vaut un succès à l’audimat.
(…)
Suranné ne veut pas dire démodé quand je l’emploie, mais plutôt hors des modes. N’allez pas croire que je me fustige à plaisir ou que j’accentue par trop mes décalages. Je goûte peu la désinvolture ambiante (mais je sais ce qu’est la fête), la désinvolture en littérature, ce que d’autres appellent le « négligéchic ». je n’en suis pas moins de mon temps. Et vous imaginez, en ce sens, combien vos remarques me touchent ».
09-11-1992
« Le problème du lecteur, du lecteur qui est aussi un auteur, c’est de ne pas assez s’oublier. Qu’aurais-je fait à sa place ? reste l’éternelle question, et ce n’est pas la bonne. Voici pourquoi je me suis « contenté » de « remarques » après la lecture d’ « Astérios » (je vous le renvoie très prochainement). Comprenez-moi, ce n’est pas le maniérisme qui pourrait me gêner ―on a usé du terme à mon propos― ce qui me gêne, me titille plutôt, c’est au contraire de ne pas assez le voir ».
07-11-1994
« Paysan ? Oui, oui, restons-le ! Mais goûter Trakl, Hölderlin, et même Claudel et Péguy, ce raffinement-là ne doit pas nous culpabiliser. Nous ne sommes pas des hommes de hiérarchie . La terre nous colle à la plume, au pull « Machin ». Je suis un paysan qui danse, un paysan aux mains douces… etc… etc. ».
20-10-1995
« La phrase de Wittgenstein me pose problème » (Il s’agit de la dernière phrase du Tractatus Logico-Philosophicus : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire »). « Veut-il dire, c’est ce que je lis, qu’il ne faut pas toucher à l’inexprimable ? C’est peut-être croire un peu vite qu’il existe un réel descriptible à volonté, à satiété, mais en effet je crois que l’on peut, que l’on doit tourner autour du pot (voir, par exemple, les métaphores les plus incongrues de Proust), et exprimer « par frottements » ce qui n’est pas exprimable ».
08-08-1996
« Wittgenstein me laisse un peu (beaucoup) à l’extérieur du cercle, de son cercle. Souvent je me dis, tu vas hurler, à quoi bon décortiquer tout ça, à quoi bon cet « enculage de mouche » (Note par astérique : « j’exagère bien sûr »). L’instant d’après, je m’accuse de fainéantise, de débilité congénitale, et je reprends ma lecture qui me tombe des mains, mais je vais persister. J’attends l’étincelle. Autre monde. Je me suis replongé dans Balzac et, comme dirait Gide, j’en suis tout « épaté ». Relis les premières pages de La Peau de chagrin, admirables premières pages qui nous font comprendre à quel point il y a peu de révolution en art (et peut-être d’avant-garde), où Huysmans est déjà présent, et le Surréalisme (« un tournebroche était posé sur un ostensoir », je m’en souviendrai) ».
24 juin 2002
« Si j’ai eu un don dans la vie, c’est celui de la chorégraphie (à huit ans, je créais déjà des solos pour moi) ; mais cette aisance dans l’invention m’est si naturelle, si évidente (ça coule de source) que je n’ai jamais voulu tenter une quelconque carrière dans le domaine. Au contraire, sans cesse je me suis mis des bâtons dans les roues ; je ne voulais pas réussir. Ce qui vient tout seul, sans effort, sans être longtemps porté, ne me dit rien qui vaille. La difficulté m’est nécessaire, les lentes élaborations ».
1er juin 2003
« Que te dire de nouveau ? Albumville « se vend comme des petits pains », dixit l’éditrice. Il est vrai qu’Alain Joubert a parlé du livre dans un article de « La Quinzaine littéraire », article dont je ne partage pas le point de vue général. Je suis élu par le critique contre d’autres que moi je ne condamne pas (sous-entendu les formalistes, pour aller vite). Mais la nouvelle la plus étourdissante est celle-ci. Matthieu Gosztola, tout jeune poète du Mans, a décidé de consacrer son mémoire de maîtrise à mon « œuvre », comme il dit. Je ne sais si le sujet sera accepté en haut lieu (il dit qu’il se montrera convaincant), mais l’enthousiasme de ce garçon m’a touché. Je crois que si la jeunesse s’intéresse à notre génération, il est possible que nous nous survivions un peu ».
12 décembre 2006
« J’ai relu Barthes aussi ces derniers temps. Et avec grand plaisir. Cet homme est sans cesse à la bonne distance (son œil, sa main). On n’a pas envie de le contrarier tant la gourmandise est grande. Parfois, j’ai l’impression qu’il pourrait décaler son analyse jusqu’à se contredire sans que nous souhaitions nous opposer à lui. C’est du grand art. Mais la découverte de décembre est Aloysius Bertrand que je ne connaissais jusqu’ici que par Ravel. Tout un monde, vraiment, d’une originalité et d’une nouveauté incontestables. Et ce grand auteur n’aura jamais vu son œuvre imprimée ; un seul exemplaire a été vendu pendant vingt-sept ans ! ».
20 février 2007
« Je regretterai jusqu’à la fin de ne pas savoir jouer d’un instrument. Je le dis sans rire, j’eusse aimé être cantatrice !!! ».
lundi 9 août 2010
Vient de paraître : “Lilas-Zone – inventaire” de Michel Valprémy
Editions des Vanneaux
“ Matière précieuse, lumière précieuse. C'est écrit au scalpel, à l'emporte-pièce. Les répertoires d'objets sacrés qui renvoient à un cadastre des lieux sacrés reconstituent comme à partir d'ossements la geste de l'enfance, le Grand Jeu, creuset des sacralisations sacrilèges (celles qui ne seront jamais confisquées), et peuvent aussi renvoyer à toutes les pistes explorées par une œuvre assurément précieuse puisque entre toutes, dépositaire de secrets perdus, elle engrange et dilapide des trésors de fantaisie et d'exigence, de rigueur et de liberté. ” (François Huglo)
“ On n'a pas la berlue ; c'est tout plat, le dos de la main, un drap couché, une pâte à tarte sans grumeaux, tout plat et sec ; à peine, discontinu, un bourrelet de terre très-brune esquisse-t-il les bords anciens de la cuvette où l’on déposait culottes courtes, espadrilles, socquettes et le petit linge bien propre des poupons pisseux. La source ne tarissait pas, elle coulait sans s'essouffler, sans hoquets, elle pissait fin, un doigt, même au début, au tout début du monde, quand il tomba du plomb, des cailloux chauds, quand le fumier prit feu. Verte était la surface, d'un vert bouilli, fumé, avec un tulle de pollen, un voile qui plisse et pèle au premier vent comme la peau du dessus d'un cousin roux que n'aimait ni son père ni sa mère, ni la maîtresse ni la bande des zigouilleurs, ni le soleil tamisé qui fortifie pourtant le plus chétif, le plus pâlot des gosses de la grand ville et des baraquements.” (Extrait de “La Mare”)
Commande (10 € + 2 €)
ÉDITIONS DES VANNEAUX - 64 rue de la vallée de Crème
60480 MONTREUIL-sur-BRECHE
dimanche 1 août 2010
Mansarde
Le jeune homme blanchi de mousse, derrière la cloison, rase sa barbe-broussailles.
Sous ce grenier pentu perceront les tiges de l'été.
Je persiste dans les mares du café éternel, remède sur le temps infidèle.
Je bois aussi son haleine de fumée.
Inédit. 20.01.1976
dimanche 18 juillet 2010
Sérigraphie
L'oiseau de fer se décompose, outre crevée,
Edentée, défoncée,
Cul de tôles plissées.
Spectateur, en recul, je conçois une musique...choc urbain ? Cris sur l'écorce ?
Les astres liquides caressent l'emblème mécanique.
Les insectes ont-ils jamais brisé leurs ailes et carapace se croisant, se dépassant ?...
Un peintre, charognard du hasard,
Vomit,
De la pourriture d'acier,
Ses couleurs comme des voyelles.
Inédit - 25.9.1975.