mardi 27 octobre 2009

Ce supplice affreux

Michel Valprémy


..."ce supplice affreux qui commence si bien et finit si mal", oui, on en sourit, on le chante aussi dans Mârouf, savetier du Caire (Rabaud)... Et, tous ces trucs noirs et blancs, ces images: les noyés, les corps crevés, perforés, la "Longue pièce de bois aiguisée par un bout" (Littré) qui les perce, cette viande livrée aux charognards invisibles, invisibles dans le noir, un noir très noir, un noir presque absolu, lent à venir, qui s'installe et qui reste, malgré l'eau et l'éponge... Les corps crevés, perforés, réplique humaine de 1'embrochage des volailles, du sanglier, du cochon de lait; l'horreur, toujours; parfois, entre deux giclées de foutre " un sang sombre formait une mare au pied du pal." (Apollinaire), le rouge dissous dans le noir...
... Tous ces machins, tout petits, très peu cruels, enfoncés sans blesser, avec l'alibi du grenier, — ça va ?, — ça va !, — rigole pas, ça fait mal!, tous ces machins à s'asseoir dessus, du thermomètre au "butoir" qui donne "jusqu'au cou des coups de plus en plus costauds" (Cliff)...
... Mais voici l'histoire, presque vraie, pas tout à fait fausse, l'histoire du sucre d'orge pourléché, longtemps sucé, aminci, effilé comme l'aiguille ou le passe-laine, le bonbon qui, par la faute du coude de l'enfant jaloux,- un peu pincé, troue le gosier ; le goût du sang et du miel, la douleur sucrée...

LPDA n°66-67, décembre 1985

Le pal

Michel Valprémy




LPDA n° 66-67, décembre 1985

dimanche 18 octobre 2009

BORBO RYTHME

Michel Valprémy


A L'INTRO
TA BOUCHE ROUGE DANS LE BOUGE LOUCHE
AU DEDANS DU DIVAN L'EDEN DES DENTS
TON VIN GLAIREUX SOUS LA GLOTTE EN GLOUGLOU GLAUQUE
ET LE GOSPEL GONFLE LE GOITRE
TON SAXO CADENCE MON TRUC
LE JAZZ BULLE EN IMPRO ET BLOUSE ET PULLULE
TON PLASMA ME TIMBRE LA ZONE
ME FLUTE L'AZOTE
TU FOUS EN SOLO
TA TOUFFE M'ETOUFFE
LE RYTHME ME RIME M'EREINTE


LPDA n°86, mai 1986

Le sablier

Michel Valprémy




LPDA n°52, Août 1985

dimanche 11 octobre 2009

Clairière

Michel Valprémy


Le premier jour il se dirigea d'un pas décidé vers le bois proche de l'étang dit du Grand Chaume c'était son anniversaire il n'avait rien expliqué à sa famille encore attablée au cœur de l'après-midi il était parti c'est tout un peu de solitude pour ses douze ans arrivé au bord de l'eau il se lava méticuleusement les mains en les frottant avec du sable et un morceau de savon noir qu'il avait emporté il se rinçait avec précaution et recommençait grattant la moindre trace suspecte il se sécha en secouant énergique -ment les bras dans le soleil il reprit sa marche suivant un sentier qu'il con naissait bien il s'arrêta dans la clairière du bois de l'ancien prieuré il réfléchit un court instant puis de ses mains parfaites nettoya le sol sur un mètre carré environ rejetant feuilles et brindilles soufflant sur la terre pour en ôter les impuretés il savait que personne ne le surveillait

Le deuxième jour il emporta sa règle d'écolier pour délimiter son carré d'un sillon étroit et peu profond il savait qu'on l'observait

Le troisième jour il fit de nombreuses allées et venues entre l'étang et la clairière sans cesser de siffloter emplissant ses poches de gravier il éleva une murette de quelques centimètres quand il eut fini il adressa un vigoureux bras d'honneur en direction des plus proches buissons où l'on ne voyait personne

Le quatrième jour il creusa à 1'intérieur de son carré un trou de la grosseur de ses deux poings il modela la terre retirée en une sorte de volcan miniature dans le cratère il cracha urina un peu et se coupant à l'aide d'un silex le bout du doigt il laissa couler quelques gouttes de sang il mélangea le tout pour former une boule régulière qu'il lança dans les buissons où l'on ne voyait personne

Le cinquième jour à midi il s'assit en tailleur au centre du carré et le regard vers le ciel il ne bougea plus jusqu'au coucher du soleil avant de partir il ouvrit dans la murette une ouverture large d'une main il savait désormais que personne n'oserait entrer

Le sixième jour il referma le trou du quatrième jour avec des feuilles de châtaignier pilées sa cousine de huit ans le surprit il lui interdit d'entrer elle souleva sa robe fleurie montrant son ventre aussi blanc que la nacre des coquilles de la rivière elle écarta les jambes en criant "je suis malade je suis malade" il la chassa d' un coup de pied dans son mollet maigre alors le voisin son aîné de quelques mois voulut pénétrer à son tour il le repoussa en croisant ses deux index le jeune fermier baissa son pantalon exhibant un sexe dressé dodu et déjà velu il criait "je suis malade je suis malade" il le chassa en le lapidant personne d'autre ne vint

Le septième jour il arriva très tôt il s'agitait dans son carré comme un animal en cage quand il entendit 1' angélus il sortit par la petite porte effaça les murs de gestes nerveux recouvrit son domaine de feuilles et de brindilles dans les buissons il cassa une branche épaisse et partit dans une région inconnue du bois on ne le revit jamais

Apostrophe magazine n°6-7, été 1981

lundi 5 octobre 2009

Dahlias, Dallage

Michel Valprémy

"O pourpre, emplis mon test de ton jus précieux"Jean de la Ceppède.
Théorèmes spirituels.


Neuve et visible, de son pied intact, la mariée écrase - c'est gentil - ma jonché de mousse, de dahlias, d'herbes rares; et son voile infini qu'on espérait tant, ce bateau déglingue dans ses plis d'ombres blanches le sillage et l'ourlet du sentier. La mariée n'a rien vu - elle glissait -, ni mon soin de trois jours, mon mérite, ni ma ligne idéale. Mais — voici l'histoire des larmes de cuisine —, les fleurs roulées, renversées, renaissent, leur brume, manteau couché, leur vapeur pourpre, rouge soleil rouge, sur le damier ciré, frotté aux quatre veines, tapis d'abeilles quand l'or s'en mêle, marelle de briques après la pluie que jamais les galoches crottées ou le soulier des belles, une écaille après l'autre, ne pourront effacer.

Le grand nord n°84, juin 1997

Le sexe tu dis

Michel Valprémy




Exposition 24 juin 1984