dimanche 3 mai 2009

Ombre trouée

Poème sentimental

à Jean-Philippe Halgand

mes pensées
Roulaient comme des feuilles mortes, dans la nuit.
Maurice Bouchor. Poème de l’amour et de la mer.



Ombre trouée, trémail des silex.

Ombre trouée, doublure obèse, rapiécée.

Ombre trouée, mordue et neuve. Au printemps, déjà, l’arbre mentait. Mon soupçon est intact. L’arbre mentait : l’écorce gravée, la figue creuse. Le gel gerçait les lilas d’avril. J’étais un lilas d’avril, un oiseau, une charogne.


De lui ne rien attendre, ni la cage ni le perchoir, ni l’anneau d’or ni la ceinture.


Ombre trouée, marelle de l’ogre ; l’enfer est dans le puits.

Ombre trouée, marcher sur les yeux du ciel, sur mes yeux.

Ombre trouée, les abeilles courtisent l’ampoule.


De lui ne rien attendre, ni le dard ni le miel, ni la langue ni le poitrail.


Ombre trouée, écume d’eau noire.

Ombre trouée, visages effacés du vieux temps, sourires délavés, bouches boueuses. Et sur le mur, nette à jamais, l’hirondelle calquée.

Ombre trouée, une lucarne pour entrevoir. Trop d’injures, de plis gras, de couplets plaintifs. J’étais une glycine, la treille du fumier.


De lui ne rien attendre, ni la bluette ni le brasier, ni la ruelle ni le mitan du lit.


Ombre trouée, fendue, la lumière anguleuse et sablée du boui-boui cubiste (un seul verre à pied sous l’affiche). Des pas dans la sciure du bar, des mégots, la capsule violette d’une bouteille… Ou l’os blanchi d’un été, du pré sec, ce trésor.

Ombre trouée, nuit étroite et borgne, ciel pansu des bouchers blancs – juste une épaule rouge. Nuit d’orgueil : une odeur de résine monte de mes hanches. Sous un porche, le delta blond, le gave mousseux des buveurs de bière. Quel absent tu fais ! C’est l’heure des dernières martingales. Je suis une tulipe, un chacal matineux.

Ombre trouée, des cris sur le trottoir trempé, le silence animé. Personne à la croisée des chemins, au milieu. Les dieux des carrefours sont des spectres aveugles. Pluie comme cheveux, comme salive et bave.


De lui ne rien attendre, ou le miroir ridé, le gris dans le gris, l’ombre d’ombres trouée.


Ombre trouée, traîne d’étoiles mortes. Je ratisse en octobre. Deux feuilles jaunes accouplées ; et le vent conduit le bal.


Les Editions de la Garenne, août 1991

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