dimanche 31 mai 2009

Les mots, grippés



obligé, on a jeté l'ancre, il gèle star les balcons, le rhume bouche les trous, la tête cogne, pleine de pus, d'odeurs de pharmacie, il faut suer, cracher, éliminer, il faut en chier de rage, d'immobilité, il ne faut plus embrasser personne, de peur de transmettre la salive contaminé, le vibrion obstiné et rigolard, alors, peut-être, enfin, c'est l'occasion de tirer les draps, de rester peinard, de rêver tout son soûl, d'oublier les quittances, les soldes, les parades, c'est l'heure de ne plus penser au papier blanc, à l’histoire inachevée, peinard aux points de suspension...
puis ça revient, ténu d'abord, imperceptible, une encoche, ce n'est pas plus que ça, un coup de bec du de dans, un tout petit plus que rien, pas vie quoi fouetter un chat ou quiconque, on laisse faire, on. se gratte où ça démange, du côté des tempes, ce ne sera qu'un rictus, un coup fondu dans l'air du temps, ça va passer sans doute, se recroqueviller, mourir d'asphyxie, on ne veut pas y croire, ne peut pas, on a déjà donné, tous les jours depuis des mois (y compris fêtes), mouchons-nous, on ne risque rien, mais si, ça sort aussi, avec le jus, avec la morve, ça pendouille, ça dégouline, t'as le cerveau qui perd, 1'ombilic enflé, ça sent connue ça sent, les grands lis, l'a vieille pisse, question de goût ou de désir, de savoir faire aussi, allons-y pour le sirop, ça vous enrubanne ça vous pommade, ça vous taillade la peau, oh ! c'est Dieu qui parle, le pire et le meilleur, tire l'aiguille ma fille, l'écheveau traîne, on marche dessus, la muse per' ses voiles, on voit son cul, les poils, il y a du mou te dis-je, dos lignes fortuites, on n'en voit pas le bout, lève-toi, couvre-toi, bien et parle, là-bas on affûte la lame, on tresse la muselière, le fric ne change pas de camp, le temps presse, ça ne doit pas pourrir avant, se dévider Sans compter, le temps pressé, les collines brûlent, tant pis pour les vitres, les bibelots, les chers souvenirs, tant pis pour le rhume.
et puis, ce n'est pas plus que toi, tes yeux, ton ventre, tes glandes, dés mots.

Décharge n°26, mars 1985

L'onan de toi




LPDA n°27, février 1987

dimanche 24 mai 2009

L'homme tatoué

à Jean Q.


"Tu réussiras, vieux sorcier !"Je pensais à un mage. Mais, c'était trop fort ou trop délicat à prononcer. IL n'était pas vieux. IL avait Le même âge que moi. Ce n'est pas vrai. IL avait trois ans de plus. IL a encore trois ans de plus. Certains matins je veux croire que je suis beaucoup plus jeune. Je me fais peur dès que monte un orage, je frissonne exprès, je vais jusqu'à gémir pour qu'il sache que j'ai peur, que je joue à avoir peur, pour qu'il vienne et me cache Le visage avec ses mains qui sentent L'argile, le ventre des pintades, la fiente des pigeons blancs. Avant-hier nous avions Le même âge, exactement. Pas une minute de plus ou de moins. Bien mieux que des jumeaux. La même peau nous recouvrait. Je portais son ventre un peu lourd, un peu seulement. Il ne doit pas faire trop d'efforts, il a le dos fragile, il faut être patient. Il avait pris mes os, doucement, sans me blesser. Il voulait les voir de plus près, les Laisser blanchir au soleil. Je savais qu'il me les rendrait. "Tu réussiras vieux sorcier !" Je lui ai donné mes yeux, bleus. Il m'a donné Les siens, noirs. On a ri, il n'y avait pas de sang. Ce fut plus facile que ce qu'on veut bien dire. Au début ça piquait un peu, il fallait s'habituer. On y voyait. Pas mieux. Pareil.

Quand nous arrivâmes j'ignorais que nous étions arrivés. Il ne m'a pas touché. Je crois que je ne voulais pas. Je devais me déshabiller. Je Le regardais avec ses yeux, alors je me demandais si je me faisais bien comprendre. Tourné vers un chêne il comptait jusqu'à 147. Ce n'était pas un nombre au hasard ni le rappel d'un jeu d'enfance. Un mystère planait quelque part. Le soleil montait si haut que les arbres perdaient Leur ombre. J'avais envie de Les consoler ou de me coucher à Leur pied. Quand il se retourna je n'avais enlevé que mes chaussettes. J'ai toujours froid aux chevilles même en plein été. Je n'osai pas lui proposer de recommencer à compter. Je faisais semblant de me distraire en suivant des oiseaux que j'imaginais. Je sifflais. Mes yeux me regardaient, je me voyais donc sourire sans méchanceté, sans trop d'aménité. Il fallait bien se décider d'autant plus que la glaise qu'il avait apportée commençait de sécher, de se craqueter. Je ne pouvais pas tout enlever, tout montrer.

J'essayais parfois, la nuit. Curieusement la lune se voilait, les bougies s'éteignaient, un miroir se brisa. Je n'étais pas toujours responsable. Pendant les baignades, dans la rivière, je savais bien me cacher. Personne ne se doutait de rien, ils ne se doutaient pas que je savais bien me cacher. Quand le soir tombait j'aurais bien voulu tout oublier mais je me méfiais Trop excessif je me décevais. Je ne pouvais plus additionner les souffrances.

Je déchirai la chemise. Je n'étais pas très fort. Alors que nous marchions silencieusement vers le bois, il avait glissé dans ma main un canif. Devrais-je me couper le lobe de l'oreille, l'index ou le derrière du genou ? Ca ne me faisait pas peur. Je cicatrise mal. Les voisins s'inquiétaient, après. Ils m'évitaient craignant d'être dénoncés. Seul, j'y arrivais. Je m'appliquais beaucoup. Je ne buvais jamais mon sang au début. Puis, avec une paille que je choisissais méticuleusement. J'en possédais toute une collection. Je ne les utilisais qu'une fois. Je les rangeais dans le plumier de mon grand-père. Sur l'une d'elle une goutte de sang avait séché. Je pensais au coquelicot, au souffleur de verre, au rot de mon neveu. Donc, je prétextai une envie pressante. Caché derrière les buissons j'ôtais mon pantalon. Je ne sifflais plus. Je n'étais pas fier. Il s'avança vers moi me donna un léger coup de poing sur l'épaule comme un encouragement et s'agenouilla. Il fit rouler mon sous-vêtement. Je pensais à une marée de méduse, à un crachat sur une vitre, à un couloir de silex, à des escargots "se rétractant dans leur coquille en bavant à des bouteilles décapsulées, à des tickets poinçonnés, à des volailles évidées.

La salive coula dans sa paume. Il mâchait depuis notre rencontre du matin des brindilles d'arbustes dont j'ignorais le nom. Des globules glauques, des filaments de sang tremblaient dans ce jus verdâtre (il avait sorti une feuille de houx je n'osai pas l'interroger). Il prit mon sexe dans sa main - je crus que l'hiver nous surprenait - et le massa doucement avec la salive. J'aurais donné ma collection de pailles pour que cela fût agréable. Il me semblait que ce n'était pas vraiment ma chair qu'il touchait, elle rétrécissait, se repliait pour pousser à l'envers, dans mon ventre, elle trouait mes intestins, mon foie, mes poumons et peut-être mon cœur. Je sus que j'exagérais quand mon sexe boucha ma trachée et qu'il ressortit de par ma bouche. Il coupa avec ses dents une herbe longue, un peu velue et, à l'endroit de la blessure, de la cicatrice, l'enroula comme un ressort souple jusqu' au rebord du gland granité. Je pensais à une femme girafe, au fil à couper le beurre, à ma jambe coincée dans une canalisation. J'étais à nouveau entier, vêtu. Je me mis à courir, à sauter, à escalader les rochers, à grimper aux arbres, à prendre des poses extravagantes, à mimer un paon, un singe et Maë-West, à grogner, hennir, caqueter. J'eus envie de pisser et de chier. Je m'accroupis sur la bruyère. Il me conduisit à la rivière, me lava méticuleusement avec des gestes lents, précis, obsédants.

Il m'a plaqué contre un gros orme, à pincer la pointe de mes seins, posé ses mains sur mes épaules et appuyé fort, très fort, si fort. L'écorce s'incrustait dans mon dos et mes fesses. Je pensais à la nuit : de noce de ma mère, au vêlage, au buvard de l'écrivain. Il me retourna, ses mains enfoncèrent mes omoplates. Je pensais à la barbe du père Anselme, à des jeux sous l'édredon, à mon premier viol. Je n'étais pas aussi pur que je le disais. Je fumais des queues d'ail, buvais du vin sucré, mangeais la cervelle des lapins. Il me fit allonger, le ventre sur un lit de pommes de pin trop nombreuses et ordonnées pour laisser croire au hasard. Il m'écarta les jambes. Avec mes poings fermés je protégeais un peu mon visage. Il ne me le reprocha pas. Il fit rouler sur ma colonne vertébrale, en partant de la nuque, un œuf d'oie sauvage. Quand je sentis la coquille tiède forcer mon cul j'eus d'abord envie de sourire mais, à la première douleur, mes tempes se mirent à battre et je transpirai. Je pus articuler : "je connais un nid de chardonnerets, il est plein. "Il n'insista pas. Je lui rendis ses yeux et je repris les miens. Cette fois-ci on saigna. On allait trop vite. Je lui crachai sur les pieds et fus soulagé. Chacun son camp.

J'aimais bien ses yeux. Il me les rendra plus tard quand je serai plus vieux que lui (il me laissera gagner une fois). Je lui prêterai s'il le faut mon chat, mon costume d'Indien, ma chambre à air de vélo neuve. Je lui permis de casser l'œuf, de m'en badigeonner le corps. On changea d'endroit. Le blanc séchait «par plaques, crispait l'épiderme. Je rétrécissais, c'était agréable. Il me semblait que toute ma peau se joignait, se soudait. Il n'y avait plus d1 espace, d'organes, de viscères, de pets, de merde. A terre était préparée une vaste Litière avec des plumes de diverses tailles et couleurs, des morceaux de bois, des graviers, des oiseaux en putréfaction, des crânes de mulots, des piquants de hérisson, des peaux de serpents séchées et de la boue. Il m'y roula longuement. Ce fut un peu pénible. Je pensais à la mort du cochon, au crissement de la terre sous les dents pendant la saison des fraises, à la culotte maculée de ma petite sœur. Après, je pus dormir un peu.

Il peignit mes ongles, ceux des pieds aussi, d'une seule couleur changeante, entre le blanc et l'ivoire avec d'imperceptibles reflets rosés. Là, ses yeux me manquaient mais je ne pouvais plus les lui réclamer. On en racontait déjà beaucoup sur mes caprices. Ce n'était pas juste. Je me repliais. Je ne voulais voir personne. Je me cachais. Souvent j'habitais dans un vieux sac qui sentait encore le blé ou la pomme de terre. J'y dormais. Ma tête dépassait, pas davantage. Je restais là, longtemps, parfois plusieurs jours. Un soir je suis venu à table avec mon sac. J'avais fait quatre trous pour les bras et les jambes. Ils ont tous ri C'était mieux comme ça, on ne m'a pas obligé à l'enlever. Ma petite sœur, elle, a pleuré. Puis, un matin, je voulais sortir (je savais que ça ne durerait pas) , alors, j'avais envie de tout et de tout le monde.

Il a tracé sur mon corps des Lignes brisées, ondulées, des ronds, des ovales avec La glaise, des boues aux teintes franches. Je pensais au géranium à La libellule, à mon premier album à colorier, à Buffalo Bill. Je croyais être prêt. Il tressa mes cheveux, les enduisit d'un Liquide gras et parfumé au lilas, à L'encens, à l'algue, au crottin de cheval. J'étais un peu ivre. Ca me chatouillait. Il cerna mes tétons de bleu. Je me mis à bander, un peu. Je n'en étais pas très sûr. Je regardais entre ses jambes : rien. Je me faisais des reproches. J'étais trop exposé. Je voulais disparaître, être recouvert ou emprisonné mais surtout pas libre. Il couronna ma tête d'un casque étrange qu'il avait dissimulé sous Les fougères. Je ne fis que l'apercevoir. Une crête de coq ? une parure de reine ? Il suspendit à mon oreille droite un lourd bijou de fer. Je remuais la tête, des fils crochus caressaient mon épaule. Le soleil déclinait, mes mollets s'ankylosaient. J'avais faim et soif. Je me taisais. Je pensais à des punitions fictives, au coureur de Marathon, à La trachéite de Maria Callas. IL entoura mes fesses d'une sorte de pagne en raphia qu'il noua devant en soulevant mes couilles. Du crin, lié brin à brin sur mon sexe pendaient entre mes jambes comme une chevelure. IL introduisit dans ma bouche un ruban rouge, je Le serrai entre mes dents. Il glissa l'autre extrémité sous L'anneau d'or de sa main gauche. Puis, à l'aide d'un fragment de verre, à plusieurs reprises, il entailla mon ventre, juste sous le nombril. Il me pris par les épaules, me fit tourner sur moi-même. Le sang imbibait mes poils et le crin. Je ne pensais à rien. IL tendit Le ruban et marcha en direction des grottes. J'allais peut-être mourir. Ce fut comme un éclair. Je désirais traverser La rue principale du village.

Interventions à haute voix n°10, Juin 1984

Sans titre




LPDA n°31, mars 1985

dimanche 17 mai 2009

Notre homme


à Stéphanie Warner

Ça que tu cherches
Ça que tu trouves

Pour être beau, d’une beauté à couper le souffle, il devra s’asseoir sur un banc de pierre – ciment, comblanchien, vrai ou faux marbre, peu importe – s’asseoir en plein soleil, au centre d’une placette populeuse, à seize heures précises. La matinée n’est pas recommandée, ni la tombée du jour. Entre parenthèses, avec les roses c’est exactement le contraire. Là, mine de rien, il dévorera un hamburger des plus consistants, trois étages au bas mot. Dès la dernière bouchée, repus, il ne cessera de sourire. Quel reflet alors enflammera ses yeux clairs : le bleu du ciel, tout le bleu, ou le vert fluorescent de la feuille de laitue pendue au coin de sa bouche ? Nous ne le saurons jamais. Pourtant, le passant noyé dans ses songes, celui qui préfère les chiots aux enfants, celui qui comme moi ne voit des anges que lorsqu’il pleut, le plus myope des hommes myopes, et toi aussi, ma loyale amie, tous nous vendrons notre âme au premier colporteur venu, au tripier du coin, tous nous percerons nos poches, nous changerons d’odeur, de fantôme, d’anniversaire.

Certes, dans ses souvenirs, frais encore, des carnes flotteront sur des flaques d’eau pure. Mes misères anciennes auront plus de tenue. J’ai connu – faut-il insister ? – des privations amères : un prépuce, une petite sœur, un record de saut en hauteur, du chocolat à la pelle, un papa patriarche, des fornications en silence. A-t-il déjà vécu, lui, septembre à la mi-juin ? A-t-il déjà dansé comme un lézard debout ? Foin des interrogations ! Il me laissera toujours sur le pas de sa porte, au-dessous de sa fenêtre, à la lisière des forêts, de ses forêts. En un mot comme en cent, il n’aimera pas que je coupe les cheveux en quatre. Mais, toi, ma fracassée, toi dont les joues traversent les miroirs, les vitres, les pare-brise, qui sais mieux que personne le destin des entailles, en douceur tu raseras son crâne, longtemps, longtemps, au plus près de l’os, au plus près du cri. Il ne ressemblera pas au mannequin chauve des devantures, Akhenaton ne sera pas son cousin. Mais, comme devant l’œuf de Pâques, les fillettes riront de sa coquille, et les garçons bouclés grifferont de dépit les hanches de leur mère.

Sur le fond imitation panthère, des cerises grosse comme des grosses prunes, des grenades ouvertes et juteuses orneront sa chemise en viscose. Il en sera bien fier, la nuit surtout ou par temps gris. Ses pantalons, ses chandails amples et souples dissimuleront un corps qu’on imaginera tantôt moelleux, tantôt sec et nerveux. Il faudra compter sur la disparition d’un bouton, sur une fermeture éclair viciée pour entrevoir enfin ce pli ombreux et ce couteau de chair qui m’obsèderont moins que les dents de loup du facteur, moins que le pouce difforme du plombier-zingueur. Des étudiantes éméchées, des dresseurs de chiens, des pigistes replètes le priveront de sommeil, un peu plus chaque jour. Il les aimera toutes, en vrac, à foison. Il remplira leur verre de bière, de vin violet, baisera sans encombre la bouche des belles parleuses et, pour finir, sous mes yeux, le ventre d’une géante qui me dira vous, qui me dira : « Monsieur, votre planète est vieille ! »

Mais toi, ma tatouée, toi qui a respiré les fleurs d’Afrique, les carnassières peut-être, qui mélange aujourd’hui la capucine et le piment, toi qui n’es docile qu’à l’heure de l’étreinte, m’expliqueras-tu par le menu comment tes doigts s’attachent aux cuisse des rebelles, à leur col, et pourquoi trois fois déjà j’ai vu ma chair étendue comme un sac rouge parmi les premiers draps du printemps.


Les Editions de la Garenne, août 1991

lundi 11 mai 2009

Nocturne (fable)



Entre ses cuisses blanches, dans la touffeur du nid, un marin démâté couve les œufs d'avril.
La nuit caille son encre, un navire déboussole dans le goudron.
"C'est l'heure d'épeler le rêve d'abordage"
La lune gonfle sa meringue. L'enfant pisse du plus haut des balançoires ; à son front, dans le lacet d'osier, bouton d'or et canif.
Le matelot roucoule avec la terre, aveugle depuis l'orage. Il lâche sa laitance sur la roche et la mousse. Le silence éteint les lucioles.
L'enfant sait qu'aucun sucre n'enrobe les dunes du désert. Dans les contes, une fois, le prince dépeça l'endormie.
Le matelot voit l'œil qui le cloue, la lame sur la tempe. Il libère les colombes. A l'aube, l'enfant lape l'eau des lessives, brise l'aile des mésanges.

Interventions à haute voix n°14, septembre 1986

Nuit bleu nuit





Kondoléances, octobre 1992

dimanche 3 mai 2009

Ombre trouée

Poème sentimental

à Jean-Philippe Halgand

mes pensées
Roulaient comme des feuilles mortes, dans la nuit.
Maurice Bouchor. Poème de l’amour et de la mer.



Ombre trouée, trémail des silex.

Ombre trouée, doublure obèse, rapiécée.

Ombre trouée, mordue et neuve. Au printemps, déjà, l’arbre mentait. Mon soupçon est intact. L’arbre mentait : l’écorce gravée, la figue creuse. Le gel gerçait les lilas d’avril. J’étais un lilas d’avril, un oiseau, une charogne.


De lui ne rien attendre, ni la cage ni le perchoir, ni l’anneau d’or ni la ceinture.


Ombre trouée, marelle de l’ogre ; l’enfer est dans le puits.

Ombre trouée, marcher sur les yeux du ciel, sur mes yeux.

Ombre trouée, les abeilles courtisent l’ampoule.


De lui ne rien attendre, ni le dard ni le miel, ni la langue ni le poitrail.


Ombre trouée, écume d’eau noire.

Ombre trouée, visages effacés du vieux temps, sourires délavés, bouches boueuses. Et sur le mur, nette à jamais, l’hirondelle calquée.

Ombre trouée, une lucarne pour entrevoir. Trop d’injures, de plis gras, de couplets plaintifs. J’étais une glycine, la treille du fumier.


De lui ne rien attendre, ni la bluette ni le brasier, ni la ruelle ni le mitan du lit.


Ombre trouée, fendue, la lumière anguleuse et sablée du boui-boui cubiste (un seul verre à pied sous l’affiche). Des pas dans la sciure du bar, des mégots, la capsule violette d’une bouteille… Ou l’os blanchi d’un été, du pré sec, ce trésor.

Ombre trouée, nuit étroite et borgne, ciel pansu des bouchers blancs – juste une épaule rouge. Nuit d’orgueil : une odeur de résine monte de mes hanches. Sous un porche, le delta blond, le gave mousseux des buveurs de bière. Quel absent tu fais ! C’est l’heure des dernières martingales. Je suis une tulipe, un chacal matineux.

Ombre trouée, des cris sur le trottoir trempé, le silence animé. Personne à la croisée des chemins, au milieu. Les dieux des carrefours sont des spectres aveugles. Pluie comme cheveux, comme salive et bave.


De lui ne rien attendre, ou le miroir ridé, le gris dans le gris, l’ombre d’ombres trouée.


Ombre trouée, traîne d’étoiles mortes. Je ratisse en octobre. Deux feuilles jaunes accouplées ; et le vent conduit le bal.


Les Editions de la Garenne, août 1991

Outsider





LPDA n°23, janvier 1985