dimanche 26 avril 2009

Pauvres Vénitiennes



Pauvres Vénitiennes perchées sur leurs calcagnetti de cinquante centimètres de haut ! Elles allaient, raconte-t-on, flanquées de serviteurs —je les imagine d'ébène — qui, à chaque pas, à chaque cahot, anticipaient la probabilité des chutes. Combien de chevilles tordues, brisées, combien d'entorses pernicieuses, de tendinites aiguës, quand il eût été si simple, si singulier, au prix de quelques souillures communes à tout un peuple de retrouver la terra ferma, autrement dit le plancher des vaches ! Ces dames de la haute — l'expression est choisie —, ces vadrouilleuses de l'orthopédie ornementale, la tête dans les étages, ne se souciant que de leur assomption plombée, piétinaient à l'envi les orteils rougis par les engelures du dernier petit vendeur de poulpes.

Certes, sur la Piazzetta, à l'occasion des décollations publiques, les grands échassiers de la lagune jouissaient d'une position dominante de premier choix. Mais, la Marietta, la Lucrezia, la Paolina jugèrent que la souffrance imposée à leurs malléoles dépassait en intensité la volupté trop brève procurée par la hache du bourreau. Elles écourtèrent les parades quotidiennes et jusqu'aux promenades de Saint-Pierre et de Saint-Étienne. Plongeant avec délices dans un bain d'alois, de musc, de feuilles de cidre, elles comparaient encore la carnation laiteuse de leurs jambes endolories au teint cendreux de la valetaille.

Le Nouvel Écriterres n°3, Automne 1990

Piste 1





LPDA n°41, juin 1985

Piste 2





LPDA n°41, juin 1985

lundi 20 avril 2009

Paysage clos, Camphre 1&3, Mars amer




PAYSAGE CLOS

aux noirs s'unit la palissade (des paumes ombrèrent mon front) un clair matin - le relief de ta fuite -dispose ses embruns en jeux de lattes de fines enclumes (de la paille au soufre) la nuit estompait l'ordre carcéral le rite figé des fétiches des fleurs fanées attendre - premiers alcools - qu'un ressort inventé délasse les phalanges ratures mes flaques et navires perpétuées sur le tain du buvard parfois soumises aux circuits nets de la règle venin sur le destin réel du délire portrait strophe épure introduisent midi une faim illégale marée des cendres traces d'un doigt encré enveloppe- ouverte la parole sur langue asséchée son message indécis j'évalue ton miroir (des cuisses s'ouvrent sur plis obscurs triangle isocèle) et m'y cogne - un dandy aurait rasé sa joue - nul nuage sur l'érection des planches le chat n'y griffe plus son rut rien vomi rien poli titre biffé ton odeur coule du lit vallée de l'énigme j'épingle un cheveu le lisse l'enduis do salive le couche sur la page stérile je cherche une lagune ouverte



CAMPHRE 1

Ce sexe dans ma main le dur et l'élastique ton sommeil tremble je me colle au plafond te couvre de terre et t'enrhume ai bu ta potion d'orgeat (tapioca sucré) tu viens et vas l'heure est z il n'y a plus d'affiches dans la ville



CAMPHRE 3

tant pis (tant mieux) j'accepte je- t'applaudis je suis ton bizuth ta schiava veux bien l'implore te souffle ma Meilleure haleine je m'assouplis et ne circoncis m’accroupis sur ta bouche ton sexe huilé on imitant le dindon (qui a ses couilles sur le front) m'épile toute la peau pour te donner l'enfance te cherche le lait à petites succions à petites morsures collecte cuirs clous échardes légumes et objets oblongs je tresse ma cage creuse nia tombe ne couronne d'épines tu no touches l'épaule le temps presse toujours je prends ma douche froide



MARS AMER

doigts phlegmoneux je creuse le gel la terre de jonquilles la mémoire en chevrons méduse d'un océan laiteux des garçons se disputent leur ventre d'oiseaux blancs ils pleurent dans l'alcool une joie détroussée une ombre dégueulée courbe les rayons fraudeurs plus de futur conjugué la taupe est une sœur au destin régulier


Décharge n°16, juillet 1983

dimanche 12 avril 2009

Pilori




l'attends, le sais, le veux, nu, rivé au plancher, pieds perforés, deux longues vis, assis sur excréments, dans pisse, lèche mur, en régal, le jure, mange mouches, abeilles, après piqûre, taons ne manquent pas, l'odeur, sucent, aspirent, une distraction, les perds parfois, obscurité, ne les tue pas, guette l'agonie, langue lisse dos mou des chenilles, thorax des blattes, papillons absents, ni scarabées ni libellules, glisse entre incisives pattes de cancrelats, mille précautions, pari, tire lentement, sans à-coups, sans sourciller, en douce, ressens 1'écartèlement, la déchirure, écrase la bestiole, petits corps bleu nuit, entre pouce et index, laisse fondre comme pastille, fond du palais
ne souffre pas, clous rouillent, suffit de ne pas bouger, infection gagne, trait net sur la peau, canif, mesure progrès gangrène, ne saigne plus, presque, plaie soudée au métal, toujours, l'attends, faim disparue, muscles légers, songe pâle, plaisir, il viendra, avec grandes tenailles, libérera, mouillera blessures, larmes peut-être, parce qu'il doit venir, regrettera, poings mordus, épongera sang, sueurs, ne commanderai pas, privé de force, inerte, mort sans doute, le verrai dénouer la ficelle (mon sexe étranglé), soigner croûtes, dorloter, laver, masser, réchauffer, faudra bien, me regarder, au moins ça, et, enfin, cracher sur mon cadavre

Rectangle n°8, 1986

Sébastian







LPDA n°77, mai 1986

dimanche 5 avril 2009

Rituel


A Sarah Roux.


pubère au rayon de midi marche après marche (l'astre bout) La sueur au pli de l'aine les tambours obéissent pubère sous le vent fertile

les crieurs attroupés brandissent l'outre et l'épi

au rayon de midi le poignard d'obsidienne saigne et tâche le pectoral de plumes

(l'augure a choisi fouillant les entrailles du grand paon)

Saigne

saigne du sang le plus vif le sang des courses agrestes des combats fraternels des chastes étreintes

le soleil meurt la borne isocèle reflète l'or et l'énigme
- gourdes taries viande sous les mouches -

mille oiseaux du soir effilent leur bec sur les os des vieux chefs

d'un envol égal spacieux (les chétifs restent au nid) mille oiseaux du soir obscurcissent la plaine le delta des mânes sacrés

et des bouchers gardiens des lois du sacrifice (cohorte des rampants des servi les) mille oiseaux du soir creusent l'orbite

mille regards blanchis (comète aveugle) s'agglutinent sur le pic

la lune paraît pupille d'éternité.


Interventions à haute voix n°12, juin 1985

Je suis l'impitoyable





La revue 31, printemps 1987